KEMPER Les vies liées. Entretien 2

 

Le mythe part pour le Brésil et le chanteur à textes et veste en velours devient le musclé Lavilliers. L'écriture mythique du héros et héraut expliquées par
Michel KEMPER.

 

Entretien avec Franck SENAUD



 

Il y gagne musicalement mais je pensais aussi que cette guerre d'Espagne "s'éloigne" politiquement fin 60 non ?

 

Peut etre ce 1er Brésil s'éloigne aussi de l'anarchie de Ferré, de l'anticléricalisme de Coûté? Du mythe ouvrier quil avait tour a tour travaillé ? Peut etre un ailleurs moins politique ? Possiblement plus grand public populaire ? 

 

Quen dites vous ?

 

 

 

Franco meurt en fin 1975 et le sujet qu'est l'Espagne s'épuise naturellement. De toute façon, le Brésil a prit toute la place chez Lavilliers, tant qu'il en devient presque plus brésilien qu'un vrai, sans alors avoir mis les pieds au Brésil. Et c'est nettement plus dans l'air du temps ! Par Barouh, Moustaki, Nougaro et d'autres encore... Même si l'empreinte de Couté s'estompe un temps, elle reste présente sur l'ensemble du parcours du chanteur, même maintenant : Lavilliers a toujours été d'une grande fidélité à ce qu'il a aimé. Quand Lavilliers chante "A la messe de dix heures" en 1965-1966, outre l'accent brélien évident, il y a cet anticléricalisme qui ne souffre d'aucun ambiguïté. Parfois, Nanar chante encore Gaston Couté en scène... Et le monde ouvrier, outre qu'il fonde en partie la légende, est bien là : des Barbares aux Mains d'or, tout l'atteste. Si l''essentiel de la légende Lavilliers relève de la fiction, le fait que Nanar fut ouvrier est véridique : trois ans de CAP et à peine un an d'exercice à la Manufacture nationale d'armes de Saint-Etienne avant sa démission et son départ, non pour le Brésil (ah, la légende !) mais pour les cabarets parisiens. Ce n'est pas le seul artiste qui vienne du monde ouvrier mais reconnaissons qu'ils ne sont pas nombreux dans ce cas. Même si ses interventions dans des usines en grève ou des mouvements sociaux relèvent parfois de la communication, ils n'en sont pas moins sincères. "Les mains d'or" prouve qu'on peut faire une grande chanson populaire, politique et sur le monde ouvrier. Lavilliers a toujours été "politique" même si la politique a longtemps exploré d'autres contrées. Elle est certes revenue dans le champ hexagonal à l'entame des années quatre-vingt, et notamment sous Sarkozy, mais elle a toujours été très présente. Quant à Ferré, c'est il me semble un des "guides" de Lavilliers : il est toujours présent en filigrane.

 

 

 

 

J'avais l'impression que cette politique était diffuse, peu présente, pour permettre l'identification de tous mais vous avez raison, elle apparaît au long cours et c'est sans doute ce qui "l'empêche" d'être célèbre autant que Hallyday (alors que la durée de sa carrière, le nombre de tubes, sa force scénique le permettraient largement). J'ai l'impression également que la fidélité à la poésie le ramène à une autre époque encore de la chanson (nous y reviendrons si vous le voulez bien). L'incarnation ouvrière est peu banale finalement. Souchon, Goldman, Higelin peuvent chanter qqfois le travail, ils n'incarnent pas autant que Lavilliers cette parole et c'est d'autant plus original que l'une de ces figure légendaire qui servira de base, Corto Maltese, ne semble pas un grand travailleur.

 

Les codes visuels ouvriers, qui m'intéressent ici, le débardeur, les muscles, les tatouages n'apparaissent pas dans ces années 60 dans les cabarets. Et le Lavilliers que vous décrivez, chantant Brel et Ferré porte un costume encore ? Est-ce ce "Stéphanois" qui crée une premier changement ?

 

 

 

Quand il chantait à Saint-Etienne, en 65-66, puis dans les cabarets parisiens, c'était sans muscles, avec une tenue de scène très conventionnelle : veste de velours et bandana rouge à Saint-Etienne (eh oui, Renaud n'a rien inventé !). Tout change vraiment en 1975, après la sortie du disque "Le Stéphanois", avec la légende qui va s'enrichir de mois en mois, d'années en années (et s'enrichit encore, à la marge), des pochettes de disques qui sont loin d'être innocentes (les Verts de Saint-Étienne et quasi Robert Herbin pour le disque "Le Stéphanois", la boxe pour "15e round", la chambre d'hôtel du voyageur pour "O gringo"... tout ça pour attester chaque pièce de la légende...) et une tenue de scène qui illustre le personnage qu'il veut être ou se dit être : cuirs, muscles, etc. Faut dire qu'en début 1975 arrive à ses côtés Michel Martig, qui devient son manager. Un type brillant, d'une énergie incroyable, complètement dans son temps, très bédé (c'est lui qui lui amène l'année précédente les premiers albums de Corto Maltese dont Bernard en tirera "San Salvador" ; c'est lui qui ramène à Bernard la presse BD qui lui consacrera pas mal d'articles), très rock (Nanar ne l'est alors pas du tout ! et toute la presse rock désormais dans l'escarcelle de Lavilliers !), très branché sur tout ce qui se fait, tout se qui se vit, tout ce qui se fera. C'est lui qui "place" Lavilliers dans toutes les fêtes politiques... C'est lui qui participe activement à enrichir toute sa légende, et pas seulement sur la "forteresse" de Metz ! (Martig vient de Metz)