CASTERA. Susan BUIRGE Itinéraire d'une chorégraphe.

 

Bernard CASTERA fut directeur de la Scène Nationale d'Evry de 1986 à 2001.

Il a programmé et accompagné l'arrivée de la nouvelle danse en France.

Il revient pour nous sur ces grandes rencontres.



De tous les chorégraphes dont les spectateurs du Théâtre de l’Agora ont pu découvrir les créations, Susan Buirge est certainement celle qui a le parcours le plus singulier.

 

Née à Minneapolis en 1940, elle entre dans la compagnie d’Alwin Nikolais en 1963 après avoir étudié avec Martha Graham, José Limon et Louis Horst. Elle enseigne au Henry Street Playhouse, au National Theater of the Deal et à la New York University. En 1967, elle se lance dans de nombreuses expériences avec des musiciens, des plasticiens et des vidéastes. Elle part pour la France en 1970 et fonde à Paris le Danse-Théâtre-Expérience puis, en 1975, le Susan Buirge Project.

Son travail de chorégraphe et de pédagogue aura une forte influence sur le développement de la danse contemporaine en France. Conseillère du Festival d’Aix-en-Provence, directrice du Centre européen pour la chorégraphie de l’abbaye des Prémontrés, directrice du Centre de recherche et de composition à l’abbaye de Royaumont, elle crée de nombreuses chorégraphies, parfois dans des lieux particuliers (Charge Alaire, aérodrome d’Aix-en-Provence), et les espaces de l’Agora d’Evry lui deviendront familiers. Elle y crée Voyage à Ephèse en 1988, première volet d’un projet en trois étapes qui la conduiront des ruines d’Ephèse ville de l’antiquité au Théâtre de l’Agora d’Evry, au chœur d’une ville en construction à l’orée du XXIe siècle, puis au Théâtre 14 à Paris et enfin à la Grande Halle de la Villette.

 

En 1990, toujours à Evry, elle crée le solo Grand exil qui sera sa dernière apparition sur scène. Dans le même temps, elle est invitée au Japon pour une résidence à la Villa Kujoyama de Kyoto et développe une étroite relation avec le prêtre shintoïste Tomihisa Hida, qui enseigne la musique gagaku et les danses bugaku. Des danseurs japonais de la région du Kansai veulent travailler une chorégraphie qui exprime la relation de l’homme à la nature, aux quatre saisons, au cycle des récoltes. Susan Buirge crée à partir de ce projet une nouvelle compagnie avec sept danseurs - MA TO MA - et entreprend le Cycle des saisons (1994-1998).

 

Elle confie à Telerama : « Dans le ballet occidental classique, on cherche constamment à s’arracher du sol, à faire des pointes, à s’envoler : il y a une contradiction permanente entre la terre et le ciel. Ici, j’ai découvert dans les danses de cour du Bugaku, apparues au VIIe siècle, que l’essentiel était au contraire d’épouser le sol, de caresser le sol. Ces danses-là sont souvent des danses de remerciement, liées au culte de la nature. Elle préparent et annoncent le renouvellement des saisons, elles visent à rendre l’homme ouvert et disponible. C’est un autre rapport au monde. Grâce à lui, j’ai compris peu à peu pourquoi je devais continuer à faire de la chorégraphie. »

 

 

 

Trois des quatre saisons seront présentées à Evry : MATOMANOMA (danse du printemps) KIN-IRO NO KAZE NO KANATA (danse de l’automne) et UBUSUNA (danse de l’hiver) avec les danseurs de MA TO MA et l’ensemble de musiciens Ichihime Gagakukai.

 

 

Susan Buirge quitte la France en 2008 et vit depuis au Japon. « Celle qui ne s’est jamais sentie chez elle nulle part a enfin trouvé sa maison, son pays. Elle y observe le kagura, analyse son processus de création, pour en féconder son mouvement. Son « studio » est désormais son salon ou son jardin ». (Marie-Christine Vernay / Libération)

 

Susan a définitivement tourné la page de la danse française dont elle dit, avec le franc-parler qui la caractérise : « Elle est devenue tout et n’importe quoi. Je refuse d’appartenir dorénavant à la danse contemporaine, j’appartiens à son histoire, mais elle ne fait plus partie de mes préoccupations. Au fond, elle est revenue à ce que fondamentalement les Français aiment, le verbe, le théâtre, la narration. Ma voie a toujours été celle de l’abstraction, du minimalisme ».

 

 

De cette grande Dame resteront peu de traces dans les archives de la danse : elle refuse net toute idée de répertoire. « Pas de transmission, pas d’héritage. Seules les photos en noir et blanc trouvent grâce à ses yeux. » (M-C V).


Les amoureux de la danse et les curieux trouveront de courts extraits de Parcelle de ciel sur numeridanse.tv et du Cycle des saisons sur You tube et sur medici.tv (réalisation Catherine Shan). 

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Ils liront aussi avec intérêt En allant de l’Ouest à l’est, journal de bord de la chorégraphe lors de son périple à travers six pays d’Orient. (Ed. Le bois d’Orion)