BOUBOUILLE

 

Le matin

Je la oins

Je la oins

Je la oins-oins

Ma Loulou

Ma louloutte

Ma loukoum

 

Au soir

Pour l’endormir

Je dénombre

Les plis de mon bébé

De mon bébé Boubouille

De mon Bébé Bouddha

Certains plis ne connaissent pas le jour

J'y enveloppe des baisers pour toujours

 

S'endormant

Son visage rétrécit

Soudain

Par où tout ses deux yeux convergent

Lui surgit un minuscule point

La cible à dodo :

Le bout carotte de son nez

Parfois

Souvent

Elle se réveille

C’est râpé…

Depuis le bout du nez

Il faut tout recommencer !

 

Au lolo matinal

A sa Maman le mamelon

Répond un diallèle de tendresse

Par un ronron d'affection

 

Si elle s’ensieste pendant la tétée

Car elle s’ensieste décidemment

Elle s’engueule pour se reprendre

Et aussi si on lui parle quand elle est de mauvais-poil

Car elle est de mauvais-poil décidemment

Sans distinction

Elle s’engueule

 

Par des grognements de petit roquet

Elle nous éloigne

De la même façon

Elle chasse la petite sauterelle du hoquet

Mais elle Conçoit aussi !

Essentiellement 

Elle Conçoit

Des Bêtes et des Mamans partout :

La mouche qui chatouille le nez

La bête qui affame le ventre

Celle qui sort des fesses

Et le lézard d'hiver susurrant de douloureuses méchancetés à l'oreille

 

Comme tous les bébés

Elle arbore le sourire en coin d’Harrison Ford

Et les joues de Marlon Brando

Façon Mangas elle fait risette à sa plénitude

 

Dans sa bouche avec son vomi

Elle confectionne de subtils chewing-gums

Ensuite me roule des petites pelles

Avec son haleine de châtaigne fraîche

Ses cheveux qui chantent des parfums de fougère ensoleillée

Et ses yeux Made in China

 

Serial-killeuse de couches

Lourdes de l'odeur forte des corn-flakes

Et des coagulums de marées noires

Quand je la change

Je souris jaune au sourire de ses fesses

 

Soudain

Elle tourne la tête

Pour en faire disparaître du dedans

Les gros visages gras et souriant des inconnus

A gauche

Ils disparaissent

A droite

Réapparaissent

A nouveau

Tourner la tête

Plus longtemps

Fermement cette fois-ci

Et s'ils arrivent

De cet autre côté-ci

Aussitôt tourner la tête

De ce côté-là

S'ils persistent

Leur jeter un redoutable regard

Gengis Kahn !!!

Suivi éventuellement d'un cri dissolvant

C'est sa magie

Par là elle réinventa le signe non !

Inversement

Pour apprécier la musique en stéréo

De haut en bas elle secoue la tête

Et bien involontairement finit par dire oui

 

Exotique la Boubouille

Elle pleure en marocain

Aplatissant son visage

Derrière un masque d'esquimaux

Ou de pita grecque

Redoutables et appétissants de baisers

 

Parfaitement symétriques

Ses narines gonflent dessinant deux minuscules 9

Parfaitement symétriques

 

Sur le sommet de sa tête

Surgit une antenne d'auto-tamponneuse

Dessus sa fontanelle qui chapote

Au rythme de son cœur et de ses colères

 

Elle jette des sorts aux passants

Agitant ses bras vers eux en poussant des grands AAAaaAAAaaahh !

Brandit et secoue comme une menace

Son doudou vaudou percé de mille morsures d’amour vache

C’est son Kung-fu à elle

 

Elle porte tout à sa bouche

Qui évalue tout

Délicat douanier intransigeant

Le monde PASSE par sa bouche

Ou NE PASSE PAS

Des papilles c'est la dictature du binaire

 

Constamment un petit piercing en diamant

Se gonfle de salive au bout de sa moue

Sur le bout de sa langue qui dégorge transparent

Ma Boubouille

Dans mon cou

Me dégouline ses secrets en encre sympathique

 

Ses mains écarquillées comme des étoiles de mer

D’indiscrétion et d'envie

Se posent partout

Inspectent tout ce qui bouge

Brille

Tout ce qui est peinturluré

L'index comme une corne rétractile d'escargot

Crochète-décrochète tout ce qui dépasse

Ses mains comme des minuscules deltas

Inondent de bave et de brutale câlinerie tout ce qu'elles touchent

Ses mains qui veulent finir du monde l’inachevé

En évaluer la solidité

Infatigables de curiosité

Potelées comme cocards de boxeur

Toute cernée du dedans

Bricolent sans cesse le réel

Finissant toujours par lui barbouiller la gueule

Ses mains dans le monde

Secouant toute chose

Pour en faire sortir l’Essence

Par un mouvement dansant

Comme si c’était dans le mouvement que résidait des choses l’Essence

Ses mains comme ses joues

De vieille Moujik ne craignant ni travail ni étude

 

Du soleil

Vainement

Elle tente de capturer la poussière

Portant à sa bouche des rayons de sucre d'orge

 

Et puis

Et puis il y a sa Maman

Surtout

Sa Maman sur tout

Sa maman

Partout

Sa maman

Sa maman-nichon

Sa maman-change

Sa maman-pommade-pour-fesses-rouges

Sa maman-bain

Sa maman-câlin

Sa maman-doudou

La maman-à-bras

La maman-couette

La maman-sommeil

Sa maman joystick
Sammaman

Samsamaman

La maman gobeuse de désirs

La maman-oracle-à-sa-bébé

L'Omni-Maman

Et moi

Et l'autre

Spectateur con

Epistémologue stupide et besogneux

Prenant notes

D'une pièce récitée par d'autres organes

Dans une langue inconnue de moi

 

Elle s'amuse bien avec la petite fille du miroir

Dont elle se cache en fermant les yeux

Mais pourquoi l'habille-t-on elle aussi comme une mamie ?

 

 

Cette petite est une bombe de vie

Mon greffon

Ma cuisse

P'tit bout de moi

Ma bouillotte affective

 

Ma Boubouille 

 


 

Christophe YAHIA

est poète, philosophe et mauvais esprit. 

J'espère qu'aucun super-héros ne traine dans le coin !?