LES PLANS


 

F.S : Vous dîtes toute prise peut être excellente.Vous faîtes peu de champs contrechamps

 

B.T : et quand j’en fais j’essaie d’éviter qu’ils soient symétriques.

 

 

F.S : Vous avez une remarque qui est assez étonnante : «  dans les champs contrechamps ma préférence va au cadre avec une amorce plus tendre » , qu’est ce que ça veut dire ?

 

B.T : Oui, parce que Tommy Lee, quand il jouait et que l’on mettait le personnage en amorce, la manière dont il lui parlait, il y avait quelque chose de plus fort, le fait qu’on voit au moins l’épaule, le dos de quelqu’un qui lui parlait, lui donnait plus de force aux répliques.

 

F.S : Vous voulez dire que quand Tommy Lee Jones pour le spectateur s’adresse à quelqu’un et qu’on voit ce quelqu’un, sa façon de jouer va être plus forte

 

B.T : je crois que peut être instinctivement il va moduler.Peut-être parce qu’on est plus loin la prise de son va faire qu’on est un petit peu moins rapproché de lui et qu’il a un peu plus de fragilité.Ce sont des petits trucs que vous ressentez qui s’affinent au montage, il faut essayer les deux quand vous tournez.

 

 

F.S : çà c’est le cœur de votre travail de sentir ça et de la traduire.

 

B.T : Oui, c’est le cœur du travail, de se dire que là je n’ai pas besoin de faire de plan rapproché, tout marche bien en plan large, ce qui rend très nerveux les américains qui veulent toujours qu’on se couvre, qu’il y ait un maximum de plans.

 

Le fait que tout colle bien techniquement ne veut pas dire que ça marche émotionnellement, je pense qu’un plan- il y a un peu plus de problèmes par exemple avec un travelling- il peut y avoir une saute , pour des gens c’est une hérésie, moi cela ne me gêne pas du tout si cela ne gêne pas l’émotion je garderai une prise où il y a un accident, j’aurais même plutôt tendance à prendre l’accident, ce qui est imprévu plutôt que de conserver ce qui est complètement lisse.

 

 

F.S : Dans Pas à pas dans la brume électrique, vous dîtes que les américains pourraient penser que vous êtes indécis alors qu’en fait c’est que vous laissez assez ouvertes les conditions du tournage, si quelque chose se passe pendant une prise et qui est assez intéressant vous allez le reprendre, le redévelopper, c’est le comédien en fait qui …

 

B.T : non pas le comédien , ça peut être quelque chose d’autre, c’est ma décision, mais ce n’est pas de l’indécision, si j’étais indécis par exemple je n’aurais jamais fait le film en quarante et un jours avec le nombre de décors qu’on a, c’est que une fois que j’ai obtenu ce que je veux et généralement je dépense peu de pellicule, je ne suis pas indécis, moi les gens qui, sont indécis ce sont les gens qui se couvrent qui vont tourner sur tous les axes et qui vont choisir au montage, qui vont s’arranger : on va prendre une réplique dans cette prise là,

 

mais si tout d’un coup alors qu’on est entrain d’obtenir ce que l’on veut, si on pouvait essayer d’obtenir quelque chose d’autre-c’est vrai que c’est beaucoup plus difficile avec les équipes techniques américaines qui sont habituées à ce qu’il y ait de règles et à ce que les gens leur disent vous faîtes ça ,ça ça et ça et puis on ne bronche pas- mais j’aime bien moi par exemple dans La princesse de Montpensier, dans plein de films, une fois que j’ai ce que je veux, je dis: » est-ce qu’on peut tenter une prise différente ? » et même si vous avez quelque chose que vous voulez complètement changer, on peut l’essayer.

 

Assayas me disait qu’il s’arrangeait toujours pour faire au dernier moment une prise qui ne soit pas la même, qui ne parte pas du même endroit et qui n’aille pas au même endroit pour voir si tout d’un coup il n’y a pas quelque chose qu’on va découvrir en plus. Ca pour les américains c’est de l’indécision. Il y a une espèce de rapport comme ça qui est très technique pour la réalisation d’une chose en Amérique.