YAHIA. L’HOMME-POCHE

 

 

"Mais dans cette poche lisse et mauve qu’est son corps


Il y a dissimulé une infinité d’autres poches


Un mille feuille de poches-organes"



L’HOMME-POCHE

 

Tout en l’Homme est poche

 

Son corps d’abord

Poche fermée quand il ferme la bouche

Ouverte quand il l’ouvre

Poche crevée par un anus

Jamais définitivement recousu

 

Mais dans cette poche lisse et mauve qu’est son corps

Il y a dissimulé une infinité d’autres poches

Un mille feuille de poches-organes

 

Le crâne pour commencer

Poche coquée

Sclérosée

Têtue comme un os

Poche hermétique de défense

Contre l’extérieur

(Vainement)

Pour un combat ayant lieu à l’intérieur

 

Le cerveau au dedans du précédent

Poche gavée de confiture de gras et de fantômes

Poche de rangements de séparations de connections

Poche affabulatrice de poches virtuelles

Poche d’orgueil prétendant enfermer le monde dans sa poche

Poche pour un univers en poche

 

Les yeux presque en dehors

Poches-tampons de lumière et de couleurs bombardés

Scannant mécaniquement le moindre mouvement

Poches inquiètes et de toute choses curieuses

Poches pudiques se refermant comme palourdes

Derrière un frêle rideau de velours

A la menace du contact

Fuyant des autres le regard poché

 

La bouche susdite

Poche à mots explosifs et à mots fermentant

Poche d’haleine matinale

Poche à salive qui monte comme la marée le désir et la faim

Poche–piège pleine de dents et de barrages

 

Les poumons ensuite

Poches pleines de vide

De fumées de glaires d’insultes de râles

Animés par un commerce incessant

Poches bouées de sauvetage jetées dans notre sang

Poches-semelles de géant

 

Le cœur bien sûr

Poche affolée d’une cadence de dactylo

Qui tambourine et piétine l’homme d’un même rythme toute sa vie

Poche scaphandre où à la fin il se noie

 

Bien plus bas

L’estomac poche de vieillard haineux

Poche d’avare stupide et édenté

Qui embrasse d’une passion gingivite sa fortune

Et la broie par là même

 

Le foie ensuite

Poche à récompense

Qui gratifie notre sang de confiseries et de graisses

Et par suite poche de dressage

 

La rate à sa gauche

Poche à rire qui meugle quand on la retourne

Et se retourne quand elle rie

 

La vésicule biliaire plus discrète

Poche d’acide

Nid de vers anxieux

Projetant son venin sur tout ce qui l’approche

 

Les intestins encore plus bas jusqu’au fondement

Poche thaumaturge

Labyrinthe à baratin

Poche qui a plus d’un tour dans sa poche

Poche chaussette-d’évasion pour les prisonniers éphémères de notre corps

 

Les reins aussi

Poches d’égouts raffinés

Poches de ménagère obsédée par la propreté

 

La vessie la voici

Poche poisson lune

Poche toujours assoiffée

Infatuée d’un orgueil urgent

Puis poche qui fuie

Et à nouveau assoiffée

 

 

Toutes ses poches sont poches de magicien

Tout y disparaît

Avec une même indifférence

Mets et boissons les plus délicats

Comme les plus vulgaires

Toujours la même issue

Toujours le même tour de magie

Désolant d’ennui

Acharnement monotone du miraculeux

De l’hygiène et de la fonction

 

Poches de viscosités de spasmes et d’inflammations contenues

Poches-mollusques qui nous sucent l’intérieur

Et assimilent le dehors sans le comprendre

 

Des poches

Qui servent à contenir

D’autres poches

 

D’autres poches

Qui ne servent à rien

 

Et aussi…

Et surtout

 

Chez le mâle

La poche marécage pleine de têtards grouillants et capitalistes

 

Et chez la femelle

Cette féconde poche à homme

Poche à homme-poche

 

Quand il meurt l’homme vide toutes ses poches

Comme un voleur qui restitue le produit de ses larcins

Comme un pauvre qui exhibe sa misère

L’homme-poche

L’homme-pioche

Fouillant ses poches

 

La poche

Voilà le sens de la vie

Mais qu’y mettre dedans ?

 

Chers clients, merci de présenter vos sacs et cabas ouverts à la caisse


 

Christophe YAHIA

est poète, philosophe et mauvais esprit. 

J'espère qu'aucun super-héros ne traine dans le coin !?