REMY POMMERET. nymphoseS. Entretien

 

 

Créateur d'un bestiaire d'animaux domestiques ou de contes, Remy Pommeret y introduit une dualité ambiguë: de la vie et de la  mort s'y trouvent. Et font éclore entre  l'animal et celui qui le regarde un monde de liens.

 

Entretien avec Franck SENAUD. Janvier 2021



 

FS

 

Ton travail s'intéresse a la vie d'une façon large,nous y reviendrons, est ce que cette approche a commencé avec le dessin avant le volume ? Avec un intérêt particulier pour les animaux ? 

 

 

 

RP

 

En effet ma pratique plastique a commencé par le dessin. J'ai toujours dessiné il me semble, et je suis rentré en contact avec le monde de l'art par ce biais, j'ai commencé a prendre des cours de dessin à 15 ans. Ce dessin s'est enrichi pendant mes études grâce a la gravure à l'eau forte. Cependant je sentais qu'il me manquait quelque chose, tous mes dessins étaient construis de masses, d'ombres et de lumière essentiellement. L'exercice de la ligne ne me plaisait pas vraiment et ce qui m’intéressait était de créer le volume, la texture et les détails. Le volume est venu bien plus tard, grâce a des recherches, mais c'était pour moi une évidence. Je ne renie pas le dessin et je travaille encore en miroir les deux médias, chacun enrichissant l'autre je trouve.

 

Concernant le monde animal ;  d'aussi loin que je puisse me souvenir, les animaux mais plus largement la nature m'ont toujours extrêmement fasciné. Leur diversité, leurs capacités d'adaptation ou encore leurs résurgences dans les sculptures comme figures spirituelles sont toujours quelque chose qui m'intrigue. 

 

De plus je suis d'une génération où l'on a pleinement conscience que le monde animal (et végétal) est en déclin majeur avec une extinction de masse, les problèmes éthiques liés a notre rapport aux animaux sont en exergues dans notre sociétés. 

 

On en parlera sans doute plus profondément, mais pour moi la figure animale est devenu un langage qui parle de l'Homme, de nous. 

 

 

FS

 

Tu veux dire lors de tes premières recherches en dessin il y avait plutôt du végétal  ?

 

C’est la gravure qui est arrivé ensuite ? A propos de l'arrivée du trait donc ?

 

 

 

RP

 

Non, je veux dire qu'animal et végétal ont été les premières sources de dessin. Au fil du temps les deux se sont mélangés donnant naissance a des formes ambiguës voir zoophytes. La gravure est arrivé en effet par la suite, car étant passionné par les sciences naturelles, j'ai passé beaucoup de temps à lire et explorer les illustrations scientifiques du XVIII eme et XIXème. Trouvant une certaines plasticité a ces illustrations, j'ai ainsi été vers la gravures en mêlant a la fois imagerie scientifique mais un peu fantastique également.
Le trait n'est jamais réellement venu, car mes gravures se sont faites sans traits, sans hachures, il s'agit plutôt de points qui forment des masses de gris ou de noir optique.

 

FS

 

passionnant.

 

Quels animaux pour commencer ? Des phasmes ? Pourquoi ?

 

 

 

RP

 

J'ai en effet commencé par dessiner des insectes, des phasmes, des mantes, des scarabées. Il est encore une fois flagrant que ce qui m’intéressait était la notion de métamorphose, celle de la mue. 

 

J'ai été attiré a un moment, pendant mes études, par l'illustration scientifique oui. J'ai même tenté une école qui proposait cette formation. Néanmoins, j’étais plus intéressé par la formation que par le métier derrière en fait. Donc je suis content d'avoir poursuivi mes études en école d'art, ce qui m'a permis d’élargir tous les champs que je souhaitais. 

 

Peu a peu l'illustration scientifique s'est transformé en un vocabulaire dans mon travail. 

 

 

FS

 

Comment le lien se fait avec la céramique ensuite ? Par une évolution de ta pratique ou par le corps de l’animal donc ?

 

 

 

RP

 

Le lien avec la céramique est assez fortuit à la base. Je souhaitais faire du volume, mais je maîtrisais mal les techniques de moulage pour tirer des plâtres. Je faisais déjà les sculpture en terre, alors j'ai tenté de cuire ce que j'avais fait. Je savais que j'aimais le travail de la terre, qui est pour moi du dessin dans l'espace, mais ce fut un vrai déclic. 

 

J'ai toujours apprécié en gravure la surprise de la morsure à l'acide sur la plaque de zinc et j'ai retrouvé ce même plaisir dans la sortie de four d'une pièce émaillée.

 

De plus, je me suis toujours très intéressé aux mouvements de l'art qui jouaient des arts décoratifs. Je pense notamment à l'art nouveau ou encore art& craft. Et que demander de plus vu que je faisais mes études dans le berceau français de l'art nouveau ; Nancy. J'ai pu allégrement me nourrir des pièces d’Émile Gallée, ou encore du mobilier de la Villa-Majorel.

 

La terre est un matériau fascinant, mou de base qui subit des événements jusqu'à obtenir une pérennité (on retrouve sans cesse des pièces en terre cuite lors de fouilles archéologiques) et une solidité. Pour moi c'est le medium parfait pour explorer le vivant et la mutation. D'ailleurs, j'ai toujours dans un coin de ma tête l'histoire du Golem. Créature de l'homme demiurge. Finalement je crois qu'il y a de ça aussi, je suis sans doute en train de créer mon bestiaire de gardiens ou d’émissaires.

 

 

 

 

FS

 

Question délicate dans l’œuvre de l'école de Nancy il y a aussi des pièces à la frontière du kitsch et monstrueux est-ce que cela fait parti d'un entre deux qui t'intéresse ?

 

 

 

RP

 

Haha. Complètement, j'assume ce côté désuet et kitsch. J'en joue et je me nourri de ces formes souvent qualifiée aujourd'hui de mauvais goût. 

 

Le kitsch et le monstrueux côtoient des formes plus contemporaines empruntes au cinéma de SF ou fantastique. J'aime a dire en souriant que mon travail est un lieu de rencontre entre Alien de Ridley Scott et la jardinière en barbotine de l'antiquaire de Sarreguemines. 

 

 

 

 

FS

 

Cela signifie que la pièce "évolue" entre le dessin, la fabrique, la couleur finale pour accentuer cet entre deux ?

 

 

 

RP

 

Le choix chromatique est en effet tiré du cinéma, des verts sombres, des tons naturels ou rappelant une matière visqueuse, quasi sous-marine. La couleur est toujours compliquée pour un volume, car cela peut complètement anéantir le travail de modelage. Mais je tiens aux couleurs, j'avais été vraiment interpellé par une exposition, au petit palais il me semble, sur la sculpture polychrome.

 

 

 

FS

 

tu dis cinéma ? A quoi penses tu ? Quels films? Quelles ambiances ?

 

 

 

RP

 

Oui, le cinéma est une des première source d'inspiration lorsque j’entreprends une pièce. Je suis très cinéphile et me nourris de beaucoup de style différents mais j'ai une grosse préférence pour le cinéma fantastique, que l'on parle aussi bien d'Andrei Tarkovski ou de Teen Movie. Dune (Lynch), Suspiria (version de Guadagnino 2018) ou encore the VVitch (Eggers) sont toujours quelques part dans ma tête quand je créer une pièce. 

 

Je pense qu'en voyant mon travail on ne peut bien sûr pas louper l'influence de La mouche (Cronenberg)... Mais pas que  ! Là où mon travail est très largement chimérique, fantastique, il y a aussi une part de contemplation que je cherche. Je pense que cela me vient également du cinéma, j'avais 15 ans la première fois que j'ai vu Melancholia de Lars Von Trier et ça a été un coup de foudre, et il y a 2 ans j'ai vu Médée de Pasolini et quelle bonheur de voir des images sonores puissantes  !  Maria Callas, pourtant chanteuse, quasi muette ;  c'est ce a quoi j'essaye toujours de tendre. Mes pièces doivent évoquer du son, du bruit, de la vie en fait. 

 

On peut rajouter en cinéma fantastique le cinéma scandinave qui a été un de mes premiers amours avec la toile. Baby call, splice etc etc.