Le rouge en architecture



Me voici donc en train d'écrire un billet sur la couleur en architecture. Le rouge, en particulier. Si j'ai le temps, je parlerai du rouge, mais en attendant, je traiterai plutôt du retour de la couleur en général.

 

Selon le rédacteur en chef de la revue, nous assistons à un retour, celui de la couleur en architecture. Celui-ci est effectif, visible, patent. Nombre de bâtiments, récemment livrés, se parent en effet de couleurs, vives pour la plupart et, pour parler un peu crûment : ça pète de tous les côtés en ce moment, dans le domaine de la construction. Ça pète tellement que l'on est surpris par tant de couleurs étalées dans la ville, dans nos rues, exacerbées par le contraste avec le tissus parisien, d'ordinaire de tonalité "pierre de taille", "brique", béton enduit couleur ocre ou gris, ajoutons à cela le gris des zincs et ardoises des toitures et, on l'aura compris, nos villes sont de teintes neutres.

 

Je ne vais pas entamer un historique de la couleur en architecture, mais celle-ci était présente il y a longtemps, sous la forme de peinture recouvrant la pierre de construction ; l'on sait que, par exemple, le Parthénon ou Notre-Dame de Paris étaient richement colorés et que notre vision du classicisme de bon goût a éradiqué des villes la moindre tache colorée sur nos monuments : Grand Louvre, Bibliothèque François Mitterrand, Arche de la Défense, etc, etc, etc…

Le seul qui, en son temps, nous péta fortement à la gueule fut le Centre Georges Pompidou, dont l'aspect anarchique, sans vraie façade et richement coloré, donc, fut l'objet de bien des reproches, notamment dans ses références industrielles et à ses couleurs. Le public et les critiques n'en revenaient tout simplement pas et, d'ailleurs, n'en revint plus jamais.

 

On ne saura jamais si ce projet, outrepassant les canon habituels de l'esthétique monumentale parisienne a, ou non, libéré l'architecture de sa gangue classique, si les jurys de sélection de projets se réfugièrent dans une frilosité de bon aloi, effrayés d'avoir à rendre compte de l'érection de projets tous plus punks ou funky les uns que les autres, suivant et amplifiant la tendance ouverte par la raffinerie du plateau Beaubourg…

 

Egalement, je ne sais si les architectes, par une autocensure consciente (ou non), choisirent de restreindre leurs désirs chromatiques, préférant proposer des projets à même de passer les différents filtres et barrages administratifs plutôt que de se faire éconduire et de ne jamais construire.

Donc, pendant trente ans, la couleur fut mise sous l'éteignoir et les architectes trouvèrent leur bonheur dans les subtiles nuances des matériaux bruts : béton, verre, métal.

Remarquons quand même que l'absence de couleur des édifices n'empêcha pas certains d'entre eux de devenir des marqueurs importants dans l'Histoire architecturale.

 

La couleur, donc, est de retour. Mais que c'est-il donc passé?

Ce qui c'est passé est fort simple, ça s'appelle I.T.E. Oui, ce sigle un peu abscons, qui signifie "Isolation Thermique par l'Extérieur" a radicalement changé la manière de penser et de construire les bâtiments. En effet, jusqu'à il y a peu, les bâtiments étaient isolés, certes, mais à l'intérieur, je m'explique : l'isolant thermique, une espèce de filtre anti-calories, empêche, pour aller vite, de chauffer l'extérieur en faisant en sorte de conserver les calories produites par le système de chauffage d'un immeuble à l'intérieur de ce dernier, pour en faire profiter les pièces habitées et non la rue (par exemple). Les lecteurs moyennement jeunes se souviendront certainement de publicités vantant l'isolation des combles des maisons qui montraient les billets de banques passant à travers le toit d'un pavillon au grand dam des propriétaires. Le fait est que l'isolation thermique va dans le sens d'une économie de calories, donc d'argent, parce que la consommation du système de chauffage de l'immeuble isolé baisse, donc de la diminution de la production d'énergie fossile ou nucléaire, donc de la réduction des gaz à effet de serre, etc, etc, etc. Il est difficile d'aller et d'être contre ce principe d'une réduction de la consommation d'énergie, surtout par les temps qui courent. L'isolation thermique, disais-je est donc bénéfique pour la planète, pour nous, pour nos enfants et ceux des autres….

 

Les recherches techniques et la législation cherchant à aller tout le temps dans le sens d'amélioration de ce qui existe déjà (cette phrase ne préjugeant pas de la pertinence des résultats), il fut décidé et rendu obligatoire, le passage de la frontière thermique, auparavant située à l'intérieur des constructions, à l'extérieur de celles-ci. Un peu comme lorsqu'on met un manteau ou lorsqu'on met une espèce de truc capitonné avec des dessins idiots sur une théière pour maintenir le contenu chaud le plus longtemps possible… C'est le principe d'I.T.E., dont je parlais plus avant.

Vous pourrez me dire que tout cela va dans le bon sens, celui de la responsabilité écologique, du développement durable, de l'avenir de la planète, etc, etc….

 

Combiné à d'autres dispositifs d'énergies douces, de captation des calories par telle ou telle technique, l'on s'éloigne du nucléaire sans trop se rapprocher de la bougie, donc ; je suis pour, si on me demande mon avis.

L'isolation thermique par l'extérieur, donc, se fait en calfeutrant les murs de façade avec des matériaux certes très performants (diverses laines minérales, des polystyrènes variés, en plaque ou en billes, etc.), mais qui ont des inconvénients de taille : ils sont fragiles, perméables et un tant soit peu inesthétiques… Je ne vais vas digresser ici, mais on peut observer que l'on est passé de matériaux type "pierre de taille", assurant l'ensemble des fonctions d'un mur de façade (structure, protection contre l'effraction, protection contre le froid et la pluie, esthétique et identification du bâtiment à des murs dits "multicouche" dans les quels chaque fonction fondamentale est assurée par une composante du mille-feuille, la performance intrinsèque de chaque matériau lui interdisant d'assurer une autre tâche, c'est la spécialisation qui veut ça…

 

Ainsi, pour assurer les fonctions fondamentales d'une façade décrites plus haut, on est obligé de procéder à un habillage de l'habillage : le parement. Et, ô joie, le parement n'étant plus qu'un parement (la seule chose qu'on lui demande, c'est de protéger de la pluie et du vent), une palette quasi infinie s'offre alors aux concepteurs pour "finir" le bâtiment. Le principe de la carrosserie, recouvrant, cachant l'ensemble de la technique est ici adopté.

 

En 40 ans, Beaubourg et ses principes a été totalement retourné…

Donc, puisqu'il faut parler de la couleur, celle-ci s'est donc trouvée totalement émancipée de son rôle de maquillage de matériaux "durs" (béton, etc…) pour apparaître dans sa plus totale liberté, surfant sur des matériaux légers et malléables, rompant avec la mauvaise image des "anciens matériaux modernes" dont le béton, métaphore de la grisaille, des cités sans joie, des dessous d'autoroutes sentant la pisse et le drame social… L'architecture peut maintenant se parer des mêmes atours que les avions, les voitures, les téléphones, les ordinateurs, etc… la couleur, maintenant souvent présente dans la masse même des produits, peut être d'une infinité de nuances, le support peut être de textures extrêmement variées (lisse, glacé, gaufré, martelé…), l'architecte peut maintenant faire son marché avec autant de choix, de liberté qu'un couturier, les seules limites étant le coût et le bilan carbone du matériau choisi. Un autre avantage, qui compte beaucoup dans le monde de la construction, est la pérennité incroyable de ces matériaux, conférant à l'édifice un aspect invariant ; auto-lavables, ils ont un coût d'entretien réduit, gagnant en cela des points auprès des gestionnaires de parcs immobiliers qui vont les favoriser lors des appels d'offres dont ils ont la charge.

 

Jusque-là, mon papier est resté assez neutre quant à ces nouvelles techniques… J'ajoute, pour terminer, que tout n'est pas forcément rose. En effet, dans le but méritoire d'aller vers une économie accrue en ce qui concerne la consommation des constructions, on assiste en ce moment à une vaste campagne de réhabilitation de bâtiments anciens et, notamment de leur isolation thermique par l'extérieur, donc. Je ne peux alors m'empêcher de regretter alors certains dessins de façade, certaine modénature, certains ornements discrets mais charmants qui disparaissent sous l'habillage. Bien sûr, la couleur va peut-être égayer tout ça et mission nous est confiée d'être plus responsables lorsqu'il s'agit de construire, mais c'est pas gagné d'un point de vue de ce que l'on va montrer et voir… Un bon exemple illustre ce que je dis : la réhabilitation de la faculté de Jussieu, bâtiment tout en finesse, laquelle disparaissant derrière la couche de modernité nécessaire et imposée.

 

 

Pour finir, concluons en disant que l'architecture, par le jeu des circonstances, l'évolution des législations et une certaine maturation des mentalités, se dirige vers un autre âge, dicté en cela par ce qui a toujours été un important support d'imagination : le progrès technique.


Jean Philippe GODIN, architecte.