KEMPER Les vies liées. Entretien 3

 

Les années 70 font passer le Lavilliers auteur à la Ferrat au brésilien et loubard. Avec succès. Un travail d'image par l'écrit précisées par
Michel KEMPER.

 

Entretien avec Franck SENAUD



FS

Vous parlez de Renaud et Lavilliers partageant l'affiche à la pizza du Marais dans les années 70. voilà un autre artiste qui, entre son premier album style Gavroche et les suivants plutôt blouson cuir marque un virage total.

 

Il y de nombreux points communs avec Lavilliers celui du costume si l'on peut dire et celui du passage de la chanson au rock. Qu'en pensez vous ?

 

 

MK

A ses tout débuts scéniques, à Saint-Etienne, Lavilliers portait un foulard rouge, qu’il reliait à la tradition révolutionnaire ouvrière. Ça veut dire que spet ou huit avant Renaud, Lavilliers portait déjà ce qu’on appelle un bandana ! Renaud n’a rien inventé.

 

Je ne parlerai pas de rock concernant Renaud, mais c'est vrai qu'après la chanson-guinguette époque "Rita" et "Germaine", il a mis du rock dans ses chansons. Nos deux chanteurs se sont créé chacun un personnage. Il me semble de loin que les médias ont plus participé à la légende de Renaud que Renaud lui-même. Lavilliers, c'est autrement plus compliqué, nettement plus élaboré. Chez Renaud, le mythe loubard ne dure que le temps de trois albums, où il joue ce rôle. Puis s'installe le père de famille, ce que je tiens pour être la partie la plus intéressante, la plus attachante de son oeuvre (oh, La pêche à la ligne !)... Renaud est bien moins créateur que Lavilliers en terme d'image, de légende.

 

 

FS

Un instant sur Corto Maltese, que vous décrivez très bien comme référence de Lavilliers dans votre livre connue grace à Martig, il s'agit de piocher des éléments d'exotisme, de voyage, de mythomanie même, le rêve dans la bédé, que l'on retrouve dans les chansons.

 

Et pourtant si on pose le problème à plat il semble difficile de réunir les muscles le débardeur la ville avec Corto Maltese discrètement Lavilliers parvient à être plusieurs personnages il me semble.

 

MK

Plus de que piocher dans Corto Maltese, ce dont tout le monde est capable, Lavilliers en tire toute la substance, en prélève l'essence même. Il me semble - il suffit d'écouter San Salvador - qu'il est le meilleur adaptateur de l'univers d'Hugo Pratt. Ce qui est étonnant c'est qu'il écrit San Salvador alors même qu'il découvre Corto, en 1974, initiative de Michel Martig, amateur de bédés. Corto rencontre le mythe de Bernard qui est en train de s'élaborer : j'imagine le choc émotionnel. C'est intéressant de relire ces albums et de relever ce que Lavilliers a prélevé avec grand soin.

 

Lavilliers a plusieurs personnages, qui ont plus ou moins d'importance selon les époques. Qui se juxtaposent et cohabitent tant bien que mal. Les incohérences ne sont pas souvent relevées par les journalistes tant le chanteur les fascine : on sait que chaque interview sera aussi longue que fabuleuse, fabuliste, et c'est à qui fera la queue pour interviewer Nanar, si possible en fin de journée pour que ça déborde méchamment sur la nuit : il en a tant à raconter. C'est rarement le journaliste qui pose des questions : c'est l'artiste qui parle, qui raconte et ça peut durer des heures. Plusieurs personnages, c'est aussi plusieurs publics (les intellos, les rockers, etc.), ça brasse plus large.