Bowie et arts contemporains: un rapprochement pas si aisé. Des précisions avec Matthieu Thibault, auteur de "Bowie l'avant-garde".
Entretien avec Franck Senaud.
Juillet 2016
MT
De manière générale, la mise en scène d'un clip porte aussi la marque de son metteur en scène qui tend à s'adapter selon son sujet. Malgré cela, l'intérêt de Bowie pour les arts visuels et sa
volonté de les mêler influence le résultat final. Love You Till Tuesday, le film promotionnel rassemblant les clips des années soixante, montre des saynètes dans des décors simples en
studio où Bowie montre ses capacités de mime. Très clairement la caméra est le témoin d'une mise en scène dérivée du théâtre et du mime. On peut même citer l'inclusion de "The Mask", un segment
non musical, mimé et narré par Bowie. Seule exception à cette approche théâtrale du clip, celui de "Space Oddity" (première version) qui illustre le choc de Bowie face à 2001, l'Odyssée de
l'espace ; il s'agit d'un hommage au film de Stanley Kubrick, sorti quelques mois plus tôt.
Le partenariat avec Mick Rock, photographe, durant la période Ziggy Stardust montre le rôle égalitaire des deux artistes sur les clips de "Life On Mars?" ou "The Jean Genie" par exemple.
Mick Rock agit davantage en photographe : ces films ne sont pas narratifs et montrent Bowie, seul ou accompagné de ses musiciens, dans diverses poses au milieu de décors limités (une salle
blanche, un local de répétition ou une rue de San Francisco). En ce sens, les clips glam découlent d'une culture photographique et plus théâtrale que cinématographique. Pour autant, l'idée de
montrer un chanteur dans son costume, son maquillage et ses poses pour augmenter le pouvoir iconique d'une chanson témoigne d'un vision de l'art héritée d'Andy Warhol. Mick Rock apporte à Bowie
le packaging promotionnel nécessaire au succès de ses chansons. Plus philosophique, cette influence du pop art est néanmoins essentielle puisqu'elle est devenue la norme pour les clips pop
depuis.
Oui, les clips servent davantage de photographies animées que d'illustrations narratives des chansons de Bowie durant la période glam. Devant la caméra, sur scène, comme en studio, lors des
phases d'arrangement et d'enregistrement de ses compositions, Bowie agit en directeur artistique. Même s'il ne contrôle pas directement tous les éléments créatifs liés à sa musique et son image,
il choisit son entourage pour transmettre au mieux sa vision. Ainsi l'un de ses premiers collaborateurs, Freddie Burretti, est un ami et jeune créateur de mode qui lui vend régulièrement des
vêtements. Les deux hommes forment même un groupe éphémère en 1971, Arnold Corns, une sorte de brouillon des Spiders From Mars. Si le projet musical ne dure pas, le rôle de Burretti devient
essentiel sur le plan de l'image. À la fin des sessions d'enregistrement de Ziggy Stardust, et avant de démarrer les tournées anglaises et américaines qui feront de Bowie une star
internationale, celui-ci commande des costumes influencés par les droogies d'Orange Mécanique - encore une fois, l'influence de Stanley Kubrick apparaît. Bowie dessine des croquis
que Burretti s'applique à recréer, ajoutant naturellement sa touche personnelle.
Cette approche collaborative n'est toutefois pas une règle absolue, puisque avec le créateur de mode japonais Kansai Yamamoto, responsable des costumes de scène de la tournée Aladdin Sane
en 1973, Bowie choisit parfois des costumes, souvent conçus pour des femmes, parmi une collection déjà existante. Il s'agit donc d'un mélange de réappropriation et de création, d'une manière
semblable à la musique de Bowie, à la fois synthèse d'influences et novatrice.
En ce qui concerne le maquillage et les coiffures, Bowie agit à l'époque glam en autodidacte avant de s'entourer. Les premières teintures de Ziggy Stardust et les premiers maquillages sont
réalisés par Bowie, souvent aidé de sa compagne Angela, à partir de photographies récoltées dans les magazines de mode. Succès aidant, Bowie s'entoure peu à peu : on peut le voir se préparer en
coulisses sur le film Ziggy Stardust, immortalisant le dernier concert de la tournée en juillet 1973 à l'Hammersmith Odeon de Londres. Bowie est assisté mais apporte lui-même certaines
touches de maquillage, on peut déduire sans risque qu'il agit en "directeur artistique" de son image, déléguant parfois tout comme il le fait en studio. Notons néanmoins le rôle de Pierre
Laroche, maquilleur engagé pour la pochette de Pin Ups, dernier portrait sur pochette de l'ère glam.
La scénographie live de Bowie durant les années soixante-dix et quatre-vingt joue essentiellement sur les costumes, le maquillage, la mise en scène, puis les décors à partir de la période
américaine en 1974. Même si artistiquement moins réussie, la tournée Glass Spider en 1987 atteint le paroxysme de cette approche avec de nombreux danseurs, des musiciens costumés, une
gigantesque araignée métallique surplombant la scène, des passerelles. Quelques projections d'images d'achives historiques apparaissent mais leur usage reste secondaire dans la production
complète. D'autres projections interviendront ponctuellement lors des tournées suivantes, notamment sur la tournée Reality en 2003, mais Bowie restera toujours attaché au format classique
de prestation live, de moins en moins théâtralisée, augmentée par un décor et simplement complété de quelques ambiances visuelles projetées.
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