Les années 80 comme architexture d'aujourd'hui


Les années 80 j’y ai vécu de 07 à 17 ans. Ce texte mêlera souvenirs personnels et impressions. Aucune analyse ne sera faîte, juste ce que j’y voyais !


 

En 1979 j’ai débarqué dans un pensionnat situé dans un petit village de Picardie. Il m’apparaissait comme un village joliment figé à l’époque. Il y avait des vierges Marie sous bocal à chaque coin de rue et j’ai le souvenir de fermettes silencieuses qui conféraient une façade de respectabilité aux familles.

Le pensionnat, qui accueillait exclusivement des enfants parisiens, ouvrait le village par un long mur de briques rouges. De l’intérieur nous vivions nos années 80.

Regarder la télévision était l’exploit de chaque mardi soir et rares étaient les films de la « dernière séance » qui nous échappaient. Nous avions droit à de solides westerns interprétés par Gary Cooper, John Wayne ou encore Yul Brunner.

 

Côté Horreur le diable était à la mode et l’on nous servait du Amytiville tandis que Dracula sortait ses cheveux gominés pour devenir le vampire érotico-enveloppant. La Hammer production était aux commandes et Nosferatu n’a pas réussi à franchir l’année 1979. Quelle différence y a-t-il entre Nosfératu et Dracula pensais-je ?

Les grands du pensionnat se prenaient pour Elvis durant le spectacle de la pentecôte tandis que les petits se prenaient pour des petits lapins qui avaient tué des chasseurs… Faut dire que 1979 c’était deux ans après la disparition d’Elvis…

La pentecôte était prétexte à retrouvaille entre différentes générations car cette école était jadis un orphelinat né d’un philanthrope qui voulut donner un abri et un lieu d’éducation aux orphelins de la première guerre mondiale. Cette fête était le baromètre du temps qui passait. Les parisiens venaient avec les modes du moment.

Le début des années 80 marqua mon esprit par les disparitions successives des personnalités comme Joe Dassin, Louis de Funès, Bob Marley ou encore John Lennon. Je sentais confusément que la mort d’une célébrité voulait dire la fin d’une époque.

 

Dans mon esprit certaines personnalités ( pas encore le mot star ) allaient fermer un chapitre par leur propre mort… Nous ne regardions quasiment jamais la télé mais nous avions droit à l’émission de Michel Drucker sur les Champs Elysées.

 

C’était parfait pour tenir la chronique des morts et des vivants.

Tout cela se passait durant la transition Giscard-Mitterrand. Le plus vieux d’entres les deux avait réussi à se faire passer pour le plus jeune.

 

Sur le front politique et social, les adultes semblaient croire qu’un tournant se produisait. Une sorte de libération. Pourtant je me souviens bien qu’au tout début de ses années nous avions du mal à laisser filer les années 70.

Les barbes étaient aussi bien l’apanage des chasseurs, que des cueilleurs de fleurs ou instituteurs. Il y avait de la générosité et les vacances voulaient dire comités d’entreprises ou gestion municipale généreuse. A Paris, nos parents (le père seulement pour la plupart des immigrés !) vivaient en HLM (la classe absolue pour l’époque) ou dans des chambres insalubres du 18, 19 ou 20è arrondissement. Les bidonvilles c’était la décennie précédente ! La télévision couleur et le téléphone étaient le bout du monde pour les plus démunis d’entres-nous. En clair être pauvre voulait dire ne rien avoir, comparativement aux pauvres d’aujourd’hui qui stockent tout ce qu’ils peuvent à coup de crédits.

Quel pauvre n’a pas son énorme écran plat  Rien de tout cela au début des années 80 : Etre pauvre voulait dire ne rien avoir dans les armoires mais partager le peu qu’il y avait ! C’était collectif, la politique jouait la carte de l’enchantement. Pas de chômage et un peu de partage. Enfin je crois. En tout cas je peux me tromper mais ça semblait plus facile pour tout le monde…

Le photographe Lazhar Mansouri a immortalisé, des années 50 aux années 80, ses concitoyens algériens, qu'ils soient restés au pays ou qu'ils aient franchi la Méditerranée vers la France.
Le photographe Lazhar Mansouri a immortalisé, des années 50 aux années 80, ses concitoyens algériens, qu'ils soient restés au pays ou qu'ils aient franchi la Méditerranée vers la France.

En Algérie une certaine joie de vivre régnait aussi au début des années 80.

Le décor était le suivant : Ribambelle de gosse pour chaque famille. C’était la norme et ça ne coûtait pas grand-chose puisque les gosses étaient joyeusement cradots pourvu qu’il y ait de l’amusement en bande et à manger de temps à autre. Je crois bien que les gens ne se posaient aucune question sur le chômage ou la surpopulation. On allait voir ce qu’on allait voir une décennie plus tard….

Pour les adultes issus de la campagne, travailler dans les grandes villes comme Alger ou Oran c‘était la classe. Ceux qui travaillaient en France étaient divinisés ! Ils faisaient tous des boulots de merde, mais qui pouvait le savoir au bled ?

Le pays était entièrement illettré. En fait la valeur première d’un homme de l’époque était de disparaitre toute l’année pour ne réapparaitre qu’en temps de grandes vacances, si possible une année sur deux. De cette manière sa vie était auréolée de mystère et il n’avait plus qu’à s’enfermer dans son burnous tel un légendaire.

Retour en France, les années passent et au beau milieu de ces années débarque la tristesse et les relations commençaient à se tendre. Nous ne dansions plus joyeusement mais nous nous affrontions sur du hip hop avec le gant blanc de Michaël Jackson vissé sur la main gauche.

On entendait que ça craignait en Angleterre et que le rock devenait moins four band pour ne pas dire narcissique et individualiste. On apprenait aussi que les USA étaient la première puissance mondiale et que l’américanisation devenait la règle. « Dallaaaaas, ton univers impitoyableuuuuu », voilà ce que les américains ont offert à l’Algérie, pour les remercier d’une libération d’ otage sur le tarmac de l’ aéroport d’ Alger. Qui ne connaissait pas Dallas ? Feuilleton obligatoire!

Côté emploi ça commençait à se lézarder et ce que les adultes gagnaient en liberté, ils le perdaient en joie : Le couple n’ était plus un contrat pour l’ éternité et le désir commençait à prendre place comme valeur première de l’ existence.

 

Ce n’était pas encore la consommation tout azimut mais la jouissance n’ était plus un enjeu collectif mais individuel. Farouchement individuel!

 

Les fringues comme étendard de nos valeurs poussaient irrémédiablement vers le cul et l’amour. L’amour du cul mais au nom de l’amour. Vers la fin des années 80, chaque couleur commençait à reprendre ses droits, elle devenait plus vive, plus sombre. Le mélange ou l’amalgame se tarissait. Noir, rouge, blanc, chacune à sa place, comme tout le monde…. Rock esseulé, films de solitude, « The wall » avec la seringue dans les poches. Quelque chose de lugubre se pointait pour inonder les âmes errantes. La technologie suivait le rythme et les incompréhensions qui se muèrent en désespoir trouvèrent às’épanouir derrière le clavier du minitel.

Ce n’était déjà plus bonne nuit les petits mais tchao les pantins !


 

Amara BOUALA est né en Algérie en 1972, arrivé en France en 1979, philosophe de formation.