PIERRE SCHOTT. Entretien . Le milieu du grand nulle part.

 

Décrit par Bayon de Libération comme le chaînon manquant entre Manset et Manu Chao, Pierre Schott s'est volontairement retiré du succès de Raft des années 80 puis, en solo, de « Je te voudrai quand même » (avec Tanita Tikaram).

L'auteur-compositeur-interprète musicien « chante les coins perdus, où personne ne va plus/ les pays, les paysages, presqu'à l'état sauvage/ les régions en déshérence, d'espaces et de silences » et n'émet plus ses albums que sur internet aujourd'hui.

 

Un entretien sur ses hors champs et labyrinthes d'images pop, et de « mélancolie rhénane ». Pierre Schott sort son 6e album en avril.

 



LE MILIEU DU GRAND NULLE PART

Photo David GEISS
Photo David GEISS

Franck Senaud: Notre revue est consacrée aux images et ceux qui les créent.
Votre écriture est sensible et sensuelle et justement très visuelle  (elle décrit beaucoup des sensations et des paysages vus).
Commencez-vous par les textes ou viennent-ils une fois les musiques composées ?

 

 

Pierre Schott:
Je n'écris en moyenne que 4 ou 5 de chansons par an. Chacune est  fignolée, retouchée, parfois même recyclée et au final, il y a peu de déchet.

Jadis, la première idée était toujours musicale mais avec le temps, le texte a pris de plus en plus d'importance si bien qu'aujourd'hui, le sujet des paroles ou une idée de slogan peuvent très bien "passer commande" de la musique. Mais après le premier  déclic, la grosse partie du texte et de la partition avancent très souvent simultanément.

 FS: En lisant vos textes, je vois que vous décrivez beaucoup de lieux, de paysages -des couleurs, adjectifs, sensations associées (j'y reviendrai)- mais, en m'arrêtant sur leurs localisations, ils ne sont.. nulle part !?

"balade à la rivière", "la pluie sur le désert", "les vieux chemins de terre", "l'écluse n°12", "le milieu du grand nulle part", et aujourd'hui "hymne aux coins perdus" semblent contenir des descriptions précises, peut être même observées sur des lieux mais sans indications déterminées.

Est-ce choisi ? Inconscient ?

 

Pierre Schott:

Les lieux que je décris sont en partie fantasmés, à partir d'éléments de décor vus ici ou là, puis rassemblés.

Depuis 10 ans maintenant, je traverse tout les 2 ans la France à vélo, seul et avec un bagage minuscule. Ce que j'ai pu vivre et observer à ces occasions-là a alimenté l'essentiel de mes dernières productions.

Mes chansons sont ma cabane que je construis et décore avec les bouts qui me plaisent, ramassés à gauche à droite, donc. Ce sont sans doute les prolongements de mes rêves d'enfant.

 

J'ai un attachement instinctif à la terre, à l'espace et au mouvement, qui me procurent l'essentiel de ce qu'il faut à mon esprit. C'est une chance. Faire une randonnée avec un casque sur les oreilles reviendrait pour moi à rajouter du ketch-up sur du chocolat.

Photo Pierre Schott
Photo Pierre Schott

FS: Même constat à partir d'une observation différente: vous n'avez jamais écrit sur la ville ?

le seul texte sur un lieu précis et d'une ville est "A la nouvelle Orléans" mais il s'agit.. d'un rêve !? Une raison ?

 

Pierre Schott:

Je fais dans la chanson irréaliste et prends avec une certaine satisfaction le contre-pied de ce qui se pratique en général.

La ville, l'humain recroquevillé sur ses propres affaires, n'est pas un complément spirituel intéressant dans ma vie.

FS: Vos chansons décrivent des lieux rêvés, inaccessibles mais ce qui est fascinant en les écoutant/lisant tous ensemble (Retourner en afrique, Robinson Crusoe, Retour à la vie sauvage, un port,ailleurs, la chanson de mathusalem..) c'est que vous y décrivez à la fois un départ pour les rejoindre, un abandon de qqch qui nous retenait ici mais vous chantez également et également une halte, une sieste, un refuge. Un départ et en même temps un repos ?

 

Pierre Schott:

Alsacien des années 50, je suis mi-latin, mi-germain de culture. Il faut noter que le voyage, l' "ailleurs", le havre idéalisé, est beaucoup plus présent dans la chanson populaire allemande par exemple, où des chansons de marin très nostalgiques étaient des hits à l'époque où la France chantait les yéyé. Il ne s'agit pas pour moi à proprement parler d'une influence directe, mais il y a peut -être là une inclinaison instinctive, culturelle commune.

 

Par ailleurs, je ressens depuis ma lointaine enfance l'évolution du monde comme à la fois une fatalité et une profonde erreur de navigation. Mes pérégrinations imaginaires sont alors la recherche désespérée d'un sanctuaire imaginaire "où les choses se passeraient comme elles auraient du se passer". A noter que ces recherches se font à la fois dans l'espace et le temps. Elles sont aussi de plus en plus intérieures, le pêcheur tranquille au bord de la rivière symbolisant cette quète.

On ne nous a pas payé pour mettre le bandeau ! On adore !

FS: Votre écriture est très visuelle, beaucoup de qualificatifs, de couleurs, de description de sensations face à un paysage.

Est-ce que de la littérature, d'autres créateurs de chansons vous ont inspirés pour les textes? Ou bien, est-ce depuis cet "exil" que vous écrivez ?

 

Pierre Schott:

Il faut croire que les décors naturels me nourrissent mieux qu'il nourrissent mes congénères qui s'y ennuient très vite, qui s'inquiètent du silence et du vide d'humains. C'est ce rapport particulier à l'espace, que j'ai depuis mon enfance, qui est à l'origine sans doute de mes textes.

Je n'ai découvert que récemment que la photographie pouvait être une autre façon pour moi de mettre à profit, de transcrire mon approche particulière du cadre naturel. On dirait même que mes albums photos publiés sur facebook plaisent à plus de gens que mes musiques...

Photo Pierre Schott
Photo Pierre Schott