PATAUT. Entretien 3. La forme courte

 

Quel lien créer en amont entre des nouvelles différentes, réunies dans ce "Cas Perenfeld" (Pierre-Guillaume de Roux, 2014) et quel lien se crée en aval? La forme? Le sens donné à cette forme ? Le travail sur le langage ?

 

Et quelle autorité possède l'auteur sur ces questions ?

 

Entretien avec Franck Senaud

 



F. S.

Tu as déjà publié de merveilleuses nouvelles: le recueil Trouvé dans une poche. Est-ce la forme courte qui assure le lien entre ces textes rassemblés?

 

 

 

F. P.

Je n’en suis pas certain. Si je regarde la Table Périodique, je me rends compte que certains romans pourraient bien y figurer. En haut des marches, par exemple, pourrait se retrouver sous amour, et Tennis, socquettes et adandon, dont il est question dans la quatrième nouvelle du recueil, dans la rubrique angleterre.

 

D’ailleurs — « rubriques », « thèmes » — c’est une manière impropre de s’exprimer. Qu’est-ce qu’une table périodique? C’est une table classificatoire qui fait le répertoire ordonné des éléments chimiques. Ma Table est beaucoup plus rudimentaire que la table de Mendeleïev ou de Klechkowski. Rien n’indique quels éléments plus fondamentaux ont été utilisés pour faire le choix. Il n’y a ni périodicité, ni relations diagonales. C’est une table vaguement classificatoire ; chacun pourra s’exercer à déplacer un titre, suivant qu’il jugera telle nouvelle mieux caractérisée par un élément que par un autre. Certains voudront que «L’Éternel» figure sous lâcheté plutôt que sous frères. Ceux-là n’auront pas entièrement tort.

 

La forme courte, et même très courte, est bien sûr à l’honneur. L’ellipse mène la danse, donne un rythme. « Énigme dans le désert », « Solution de l’énigme », « Le chat cuisinier », « Le chien d’avant », font une petite demi page. Ce sont des paraboles plus que des nouvelles à proprement parler. Le lecteur doit faire un travail considérable pour bien les lire. C’est dire la confiance que je lui accorde.

Dans Rue Raynouard, où la forme poétique courte l’emporte, une machine — d’ailleurs assez semblable à celle d’Antoine dans « Machines » — est à l’origine de trois textes.

J’en rappelle le dessin :

Les trois poèmes qui suivent, rimés ou non, reçoivent une leçon de discipline de cette «machine à nettoyer la poésie», une mise en garde.

 

C’est peut-être là la manière la plus appropriée de décrire le travail à l’œuvre dans Le Cas Perenfeld et d’esquisser un lien entre ces nouvelles: un nettoyage incessant du langage.

 

F. S.

 

Faute de trouver un point commun direct entre les histoires, y en a-t-il un entre les différentes « parties » de son auteur?

Ou bien y a-t-il autant d’auteurs que de langages?

 

 

 

F. P.

 

Il y a des points communs. Par exemple parce qu’un ou plusieurs personnages passent, voyagent, d’une nouvelle à l’autre — de « Cinq portraits de Lol » à « Dolores Salinas », ou bien de « Invitation à un démontage » à « Invitation à un remontage ».

Ou bien encore parce qu’une histoire ancienne, « Vidéos », pour ne pas la nommer, ouvre la voie à un autre aspect de la pornographie, celui qui est à peine esquissé dans « La dernière fois » et qui est plus banal, plus facilement acceptable, moins douloureux, bien qu’il s’agisse de pédophilie dans les deux cas.

 

 

 

Mais, si langage il y a, ce langage reste je crois irrémediablement solitaire. Les nouvelles diffèrent par le style. Certaines sont parodiques, d’autres relèvent du souvenir, d’autre encore du journal intime, de l’allégorie biblique, de la fable, de la rêverie romantique.

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