Entretien avec Mathieu RIBOULET, écrivain


"l'image protège de tout risque "réel""


Mathieu Riboulet est écrivain.

 

Il est l'auteur de 9 livres dont Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, 1996,  Deux larmes dans un peu d'eau, Gallimard, 2006 et L'Amant des morts, Verdier, 2008.


La première question est abrupte, la réponse peut etre incomplète: qu'est-ce qui déclenche ton sujet de roman ? une image porno ?
une envie d'aller sur des thématiques peu traitées ? le fossé entre deux univers ?

 

Un peu tout cela. En fait au départ il y a d'abord, avant tout, le personnage. Puis j'agrège des éléments autour de lui, j'essaie de voir s'il prend forme. Si c'est le cas, je travaille les éléments en question.
En l'occurrence, l'envie de poursuivre, sur un autre versant, peut-être plus radical, plus frontal, l'exploration des mécanismes du désir entamée dans les précédents livres, et de dire deux ou trois choses, en passant, sur la pornographie, qui m'intéresse depuis longtemps mais que je ne voulais pas aborder n'importe comment !
Il y a quinze ans, je voulais réaliser un film porno, j'avais donc déjà pas mal réfléchi à ça. C'est un peu l'ensemble de ces réflexions éparses accumulées au fil des années qui s'est déposé dans ce livre.
Pour ce qui est du fossé entre deux univers, déjà présent dans mon travail, il se présente lui aussi sous un jour plus cru mais pas moins "réaliste" : comment parvenons-nous à faire exister de front autant de réalités dissemblables sans nous y perdre, c'est pour moi une source d'étonnement inépuisable...



2/Ce qui est étonnant dans ce que tu dis, dans la précision de ton écriture c'est la possibilité que tu te fabriques d'aborder une thématique, un enjeu si connoté (le porno) si puissant, cru, corporel, présent.


Mais, ce faisant, tu ne décris pas des images pornos, ni l'emphase de tout désir, ni le fait bête de l'envie (c'est Nietzsche qui dit tout faite est bête comme une vache (sans affront pour le limousin)) et son plaisir, tu frayes un chemin entre ces choses, il y a un décalage entre la finesse de tes phrases et la brutalité de ce qui est décrit.
Plutôt que la crudité du porno, des sentiments et paysages des personnages, tu sembles chercher à décrire la puissance qu'exerce sur nous des images. La violence d'apparence que chacune d'elle recèle.


Quel lien fais-tu entre images et désir? et (plus complexe sans doute) entre désir et image ?

 

 Ce que je voulais dire c'est que la relation que nous entretenons avec les autres, a fortiori avec l'autre, est autant le fruit des circonstances "objectives", extérieures de la relation que des diverses projections de la relation que nous construisons au fil du temps, dans notre coin, malgré que l'autre en ait pourrait-on dire. Je voulais parler de la complémentarité profonde de la relation "objective" et de la relation fantasmée.
Proust a très bien dit ça : "Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres".
A mes yeux cette vérité-là s'applique aussi à la personnalité désirante, à la "personnalité pornographique" que chacun d'entre nous recèle. L'archaïsme de la représentation de la pornographie me semblait le terrain idéal pour réfléchir à ces aspects des relations humaines : c'est l'endroit précis, obscur, où tout un chacun peut basculer en étant sûr de ne pas perdre tout à fait pied puisque la représentation, l'image le protège de tout risque "réel".
Le narrateur d'Avec Bastien s'abîme dans l'image, il n'a rien à quoi se raccrocher, aucune fioriture narrative, aucune distraction sociale ou politique, il est - nous sommes dès lors que nous nous confrontons à l'écriture du désir (dans pornographie il y a graphie) - dans le pur du regard et le pur du désir, devant l'image.
Et bien obligé de constater que l'"image" qui le (nous) fait bander est autant l'image "réelle" qu'il a sous les yeux que l'image (mentale) qu'à son tour il projette dessus.
Je crois que ça fait gagner du temps de comprendre cela.