La ville c'est du bonheur à tartiner


 

L'édile et Le promoteur immobilier, dans des plaquettes en couleurs, vendent de la rénovation urbaine, du mieux-disant de la ville, un cadre verdoyant. 


Les formules choisies incitent à investir dans du "mieux-vivre...

Jean Philippe Godin. Architecte. n° 50 Mars/Avril 2010


Naturellement enclin à croire l'homme (en majorité) bon, je constate que les bonnes intentions présentées dans les plaquettes sont sincères. Les collectivités territoriales sont souvent gérées par des personnes motivées par le bien-être de leurs administrés et par la prise en compte sérieuse des deniers publics.


L'architecture présentée ici n'est pas à mettre en cause. Les auteurs des projets sont de bons architectes sachant construire des édifices dans lesquels les habitants pourront mener la meilleure vie possible, leurs réalisations déjà livrées dans d'autres lieux attestent ce fait. Je n'ajouterai rien à ce sujet.


Le problème, c'est que l'architecture n'est pas un bien de consommation et ni, par là, un moyen de communication.


Cependant, la ville d'Evry s'en sert. L'époque, malgré tout, change et des petits malins inconscients espèrent que leurs idées basées sur du pas-grand-chose vont transformer ce qu'il y a de plus profond dans l'homme : les fondamentaux de la vie.


"je vais vous vendre de la vie en me servant de l'architecture comme référence". Cet argument de vente va vous faire croire que l'architecture fera de vous quelqu'un de reconnu, apprécié voire, envié de ses amis, ses collègues de bureau, de sa famille. Les fondamentaux de la vie, disais-je, ne se situent pas là. Rien de cela n'est plus vain. Et ce qui est terrible, c'est de croire, encore et encore, que la vie est dans ce que l'on achète, cette fois-ci, non des objets ou du temps libre, mais des appartements.

Architecture mon amour…

D'abord, quelques formules extraites des prospectus de vente :


"Un nouveau cadre de vie au cœur d’Evry"
"Un ensemble urbain aéré"
"Les différents types de logements se trouvent associés dans un cadre, à la fois urbain et paysager, dont le fonctionnement privilégie le bien-être et la convivialité."
"Notre ambition est d’insuffler, en ce lieu, une dynamique nouvelle pour que chaque habitant profite pleinement de la qualité de vie dans un centre urbain vivant et animé"


Le côté officiel de la puissance administratrice y va également de son couplet :


"Soucieuse de préserver ses multiples atouts, ainsi que le bien-être de ses habitants, Evry rénove aujourd’hui son centre-ville, afin d’offrir un cadre de vie agréable à tous."
"Le Quartier de l‘Hôtel de Ville bénéficie de deux grands parcs, Parc de Coquibus (20 ha) et Parc Henri Fabre (15 ha), et offre un espace de vie qualitatif pour tous."

(Qu'est-ce qu'un "espace de vie qualitatif pour tous" ?)


"Chaque résidence se distingue par une architecture différente pour offrir plus d’identité et d’individualité à chacun des logements, dans le cadre d’un ensemble harmonieux".


Là, il faut comprendre que l'architecture et l'urbanisme nés des principes du mouvement moderne (comprendre "les grands ensembles") ont écrit une leçon que l'on a désormais bien apprise : plus jamais d'uniformité dans des barres et des tours HLM….:

Ce que l'on appelle les "grands ensembles"

Il s'agit, vous l'aurez deviné, d'ensembles de logements, plutôt grands. Je dis ça, non pour la galéjade, mais pour bien faire saisir l'importance du changement urbain que ces entités représentaient. "Ensembles", des logements constituant, de par leur uniformité, tant morphologique que typologique, une unité, l'"ensemble" faisant disparaître le "particulier", le dessin de l'architecture, rapidement dessinée, rapidement construite et rapidement habitée était guidé, disais-je, par les principes du "Mouvement Moderne". Plus que les principes "techniques", ce furent les principes essentiels, qui furent écrits : la lumière, l'air pur, le soleil, l'espace, l'hygiène… Comment être contre ça ? "Grands Ensembles", également parce que les ensembles regroupaient plusieurs milliers de logements en un seul ensemble, et que l'époque, oublieuse de l'Histoire, trouvait que cela faisait beaucoup d'un coup.


Pour finir cette digression, il est, clair que "Grand Ensemble" faisait certainement référence à un ensemble de population d'individus "identiques", mis "ensembles" dans des citées bâties en banlieue. Masses de population appelées à travailler dans les industries voisines, là encore, un classement en typologie et, peut-être plus ambigu, en morphologie, basé sur l'uniformité, la similitude, l'absence de reconnaissance de la différence. Cette absence de différence avouée s'est trouvé vérifiée, plusieurs dizaines d'années après, par le rabotage social inhérent aux différentes crises économiques, les grands ensembles devenant souvent l'étage ultime de la descente, abritant une population rendue "unique" par ses caractéristiques de pauvreté et d'origines.


On sait comment ça a fini, et comment ça dure encore,

je ne résiste pas, pour continuer dans la joie, à vous faire partager ce dernier extrait écrit en novlangue communicato-publicitaire

"Les appartements d’Horizon Sud sont tous orientés de façon à bénéficier d’un ensoleillement maximum. Lofts, duplex, terrasses, loggias… Horizon Sud privilégie les belles surfaces agréables à vivre. Ici, espaces intérieurs comme espaces communs sont conçus dans un véritable esprit de confort."

 



Difficile d'être contre ça, ici également…


On pourra comparer les formules employées, le ton des phrases à celles de publicités pour d'autres produits :


"La joie d’être émerveillé" (Une marque de voitures bavaroises)
"Echanger les sourires et les rires de la vie / La vie, la vraie" (De la grande distribution)
"Nous soutenons votre audace d'entreprendre" (Une banque proche du peuple)
"Demandez plus à votre argent" (Une banque située dans le département du Rhône).

 


Globalement, ce jargon commence à me donner une certaine nausée, l'enflure langagière est désespérante.

Enflure langagière doublé d'un déni iconographique et, je pense, volontariste ; en effet, si je parlais, plus haut, du nécessaire raccourcissement / écrêtage de la vision d'une population, vouée à habiter les grands ensembles, il y a, dans les dessins d'ambiance de la plaquette de vente d'"Evry-Horizon", la même volonté, le même aveuglement quant à la représentation, et donc la volonté d'uniformiser les futurs habitants.

la volonté d'uniformiser les futurs habitants

Mais, cette fois-ci, tendance jeunes, beaux, blancs, et un peu riches. Tous sont habillés de la même façon, sportswear décontracté.
La couleur de peau est cependant un peu visible dans certaines petites images se trouvant être, et ceci est intéressant, des photographies, et non des dessins. Sans vouloir rentrer dans un débat sur la représentation, remarquons que :


1.Si l'on n'est pas un super-pro, il est difficile de cacher la réalité dans une photo,


2.Le blanc fait vendre et représente également le client idéal,


3.Le noir et l'arabe ne peut être dessiné comme faisant partie de l'image de vente, son invisibilité avouant son absence sociale espérée, consciemment ou non.


Dans ce combat d'arrière-garde, mené pour tenter de sauver ce qui peut rester d'un modèle ayant (beaucoup) enrichi certains et appauvri, par des emprunts sur 50 ans, des générations de français, l'acharnement thérapeutique est partout décelable. Ce système est au bout du rouleau.


Qu'il crève.
Qu'il crève, disais-je, car il fut vain à apporter le bien-être et cette coquille vide, dans laquelle nos vies devaient se lover et entasser tout ce que nous consommions ne représente plus rien.

 


Ce qui est intéressant de noter, c'est que tout ce qui fait qu'une ville, telle que nous la pratiquons, en tant qu'occidentaux moyens, va peu à peu se calcifier, s'éroder et se raréfier. En effet, il se passe en Grèce ce qui va bientôt arriver ici : le massacre à la tronçonneuse des services publics. La santé, l'éducation et, très important lorsque l'on est, dixit la publicité (encore elle..) :"…Par le RER : Depuis station Châtelet les Halles, Direction Malesherbes Corbeil-Essonnes jusqu’à Evry. Sortie station "Evry-Courcouronnes" (35-40 min)…" Les transports, innervation d'une région, service public fondamental pour la gestion d'un territoire en général et de la vie de chacun, en particulier, lorsqu'on vit à Evry et qu'on bosse à Paris…


Caramba, encore raté !