Supports multiples et emmêlés, densité de sens et grande blancheur, j'ai découvert et apprécié l'oeuvre de Pauline DELWAULLE au salon de Montrouge: un travail sur l'espace vu et sur l'espace intime simultanément. Une exploration.
Entretien Franck Senaud 2014
Franck Senaud :
Votre oeuvre "Terra incognita",découverte au salon de Montrouge est un mélange élaboré de graphisme cartographique, d'image et de grands blancs, de références à des lieux et d'absence d'information, d'Installation à rever et d' interaction à explorer, bref une magnifique découverte finalement complexe.
Comment commence-t-on à imaginer une telle oeuvre?.
Pauline Delwaulle :
Mon travail s'articule autour des questions de la représentation de l'espace et de se conceptualisation. Comment peut-on dire l'espace, le dessiner, le communiquer... Comment raconter un paysage...
Et notamment pourquoi nommer le paysage.
Je me suis intéressée à cette question après avoir observer les cartes des territoires austraux, qui sont parmi les derniers à avoir été découverts et donc nommés.
La nomination d'un lieu est un acte très politique, on sort un élément du magma de la nature, on pose un sceau, une définition, une appellation. On nomme pour pouvoir s'orienter mais surtout afin de posséder le paysage. Ce lieu ne pourra plus être une butte ou une colline ou une motte ou un mont, il aura été scellé, il ne deviendra jamais autre chose. Il ne sera plus en devenir.
Un territoire se doit d'être nommé s'il veut être possédé par un pays. C'est ainsi que des lieux sont nommés alors qu'il n'y a jamais personne pour prononcer ces noms, exemple de certaines îles australes.
La question de la conquête de l'espace m'intéresse beaucoup et surtout la conquête par le langage. Je souhaitais faire une carte purement paysagère et donc sans mention de territoire, le monde tel qu'il est vraiment, le dessin de la séparation des terres et des eaux.
Terra Incognita fait référence à ces lettres inscrites sur les anciennes cartes, elles symbolisaient les territoires à découvrir, à inventer à imaginer, peut-être y avait-il des licornes, des monstres marins, des cannibales...etc. Ces lettres étaient support à l'imagination.
De nos jours, on n'invente plus les ailleurs, j'ai voulu recréer cette ivresse de l'atlas, quand on les ouvrait et qu'on imaginait ce qu'on pourrait trouver dans les différents pays. Éveiller la curiosité et proposer une redécouverte du monde. J'ai voulu proposer un autre regard sur le monde, un regard juste car tout est vrai. Une carte n'est jamais parfaite, c'est un point de vue, cette carte prend le point de vue du paysage, sans aucune mention de civilisation.
Franck Senaud :
Des niveaux de complexité que l'on ne perçoit pas immédiatement.
Pauline Delwaulle :
En effet, il y a beaucoup de niveaux de compréhension à Terra Incognita, j'ai voulu créer une oeuvre accessible à tout les publics. Les enfants peuvent y trouver autant d'intérêt que les adultes. Il y a un aspect très ludique à la carte. Quand on arrive à l'oeuvre on ne sait pas que c'est une carte du monde, beaucoup pense que c'est une carte imaginaire à cause des noms. Mais il faut dézoomer, prendre du recul afin de reconnaître la forme des continents.
Ensuite, on peut prendre le parti de chercher des noms précis ou lieux précis.
On peut également se déplacer par liens de sens, quand on clique sur un toponyme on est envoyé vers un toponyme de sens commun, ou proche sémantiquement; si on clique sur "jaune", on peut être emmené vers "soleil" et le champ lexical de l'espace ou bien "poussin "et celui des animaux, ou encore "citron" et les fruits et légumes. J'aimais l'idée de proposer une exploration du monde via le langage. Les même mots se retrouvent partout autour du monde et en même temps ils nous renseignent sur les paysages.
Un autre niveau plus complexe et celui des données utilisées. En effet, j'ai utilisé la base de données de Geonames et celle d'Open Street Map, deux projets de cartographie collaborative. La carte est toujours un enjeu de pouvoir et le fait de pouvoir participer à une carte citoyenne propose vraiment qqch d'ambitieux et de généreux. L'information géographique se doit d'être accessible, savoir où l'on est c'est aussi savoir où l'on va et surtout avoir le choix. Les organismes géographiques nationaux et n'importe quel internaute peuvent participer à cette base de données mondiale. On peut également donner de l'information pour des pays où on a été, par exemple les ONG se servent de ces sites pour faire évoluer les cartes des pays où elles travaillent, car les cartes étant un enjeu de pouvoir, elles sont souvent peu précises ou erronées.
Et on peut aussi imaginer ce qu'il y a dans le blanc. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de noms qu'il n'y a rien. C'est un paysage à investir, réinventer. C'est un voyage mental sur un monde que l'on reconnaît pas vraiment et pourtant c'est bien celui-ci, il suffit de déplacer un peu le regard et prendre le point de vue du paysage.
J'ai toujours beaucoup de choses à dire sur cette oeuvre, car elle est toujours en développement, notamment vers l'édition d'une application-édition.
FS:
Cette possibilité/capacité d'explorer et de se perdre qui est forte dans votre proposition, l'avez vous immédiatement imaginé sous une forme numérique ?
Pauline Delwaulle:
Je l'ai imaginé numériquement car cette carte ne pouvait exister sans les données numériques.
J'aime l'idée de l'ivresse de la page blanche mais également l'ivresse de la profusion de données, il y en a tellement que c'est difficile de s'orienter, la visualisation des données est un sujet qui m'intéresse beaucoup. Comment on peut rendre visible la profusion, comment faire apparaitre un sens dans le chaos....
Ce travail n'aurait pas pu naitre sans le numérique, la profusion n'est pas lisible autre que numériquement dans ce projet.
PREFIGURATIONS est aussi une association evryenne.
ICI