LA CENTRALITÉ : RETOUR EN GRÂCE ?


Le centre urbain est le lieu de l’être-ensemble. Cela ne va pas forcément jusqu’à faire quelque chose ensemble. La plupart du temps on se contente de s’y voir, de s’y croiser, sans plus. C’est déjà beaucoup plus qu’il n’y parait, surtout si le lieu central vous permet d’observer, presque en continu, toutes les catégories de gens qui « voisinent » avec vous, dans votre ville.

 

Dans la tradition urbaine, c’est là qu’il faut aller pour voir les nouveautés, pour draguer, pour manifester… Sur un espace restreint, un centre rassemble beaucoup de commerces, services, administrations… soit beaucoup de motifs d’y aller, pour tout le monde. Les USA ont redécouvert, ces dernières décennies, que la diversité des publics qui s’y croisent est un puissant facteur de tolérance, induisant un sentiment de sécurité. On lira sur ce sujet l’ouvrage de Sophie Body-Gendrot : « La peur détruira-t-elle la ville ? », chez Bourin Éditeur.

 

Un lieu du vivre ensemble : c’était précisément l’objectif visé par les urbanistes pour le centre urbain nouveau d’Évry. Force est pourtant de constater que cet objectif est médiocrement atteint pour le moment. La ville nouvelle s’est échinée (avec peine) à implanter les moteurs de centralité qui attirent des publics différents (administrations, commerces, cathédrale, université..), mais peu de publics s’y attardent. Seulement certains. Les milliers de personnes qui viennent tous les jours se contentent de passer, sans s’asseoir ni flaner.

 

Conçue à la fin d’une époque gaullienne, où la politique se permettait encore de pratiquer du dirigisme, la ville nouvelle a vite été désavouée par la vague libérale, qui ne jurait que par le laisser faire du marché, la dispersion pavillonnaire, le tout automobile, l’étalement des commerces dans les « entrées de villes »…

 

La « renaissance urbaine », installée depuis quelques temps aux USA, en Grande Bretagne, en Allemagne, touchera-t-elle la France ? L’expression, en tout cas, n’y a toujours pas cours, alors qu’elle est la dernière mode dans ces pays amis.

 

Le souci du développement durable pousse à un retour vers des villes compactes, structurées par les transports en commun et les liaisons douces, et par des centres urbains développés autour des carrefours de systèmes de transports.


Les exemples de quelques villes d’Amérique du Nord, comme Portland, Vancouver ou Seattle, deviennent célèbres. Elles allient souci de préserver la planète et citoyenneté nouvelle. Même un agglomération comme New York se restructure autour d’une bonne dizaine de centres d’affaires et de services, près de carrefour de circulations.

La France hésite encore à rompre avec la civilisation des entrées de ville, de la rurbanité et des entre-soi, riches ou pauvres. Même ses écologistes pensent surtout isolation de la maison, agriculture biologique, retour à la nature, AMAP… Ils n’en sont pas encore à la civilisation de l’urbain, de la citoyenneté, du vivre tous ensemble. Ils ne parlent guère de l’empreinte écologique collective de toute la ville. Cela peut se comprendre, de la part d’un pays venu beaucoup plus tard que les autres au grand étalement pavillonnaire ; seulement depuis le milieu des années 70.

Les agences d’urbanisme cependant, quand il y en a, nous préviennent que cela ne peut continuer ainsi. Chez nous aussi, le prix de l’essence augmente et beaucoup de gens ne souhaitent plus consacrer de longues heures à faire des courses dans de vastes centres commerciaux, fonctionnels mais sans agrément. L’heure serait plutôt à repenser des centres urbains restructurateurs. Mais où les implanter dans le magma informe des banlieues ? Dans les entrées de villes ? Elles s’étalent sur des linéaires beaucoup trop longs et elles sont mal desservies par les transports en commun. Dans ces zones industrielles qui ont viré aux lotissements de grandes surfaces commerciales ? Elles n’invitent guère à flâner. Leurs hangars, souvent construits sans architecte, ne laissent pas de place aux espaces publics, aux lieux de rassemblement, aux vitrines ou aux terrasses de bistrots. En général elles sont loin de toute gare. Elles sacrifient tout à une étroite fonctionnalité.

L’urbanisme d’un centre urbain relève tout autant du symbolique que du fonctionnel. Il se nourrit de compositions subtiles, avec des immeubles qui expriment le respect des voisins, la tolérance mutuelle, le plaisir d’être ensemble, aussi bien que la singularité.

Les villes anciennes, mûries sur plusieurs siècles, savaient faire cela. Si leur centre n’est pas loin d’une gare et s’il s’ouvre sur un transit automobile, il peut s’agrandir en nouveau pôle d’urbanité. Quelques villes nouvelles, dont Évry, se sont attachées à réunir tous ces ingrédients : gare carrefour de plusieurs modes de transport, transit automobile, bureaux et services divers, réseau de boulevards, places et placettes, édifices symbolisant tous les pouvoirs et partenaires sociaux… Ils ont tout ce qu’il faut pour devenir des pôles structurateurs.

Mais pour les inventer, on avait eu la sagesse de ne pas laisser les architectes agir seuls, et de les entourer d’équipes pluridisciplinaires, avec des spécialistes de l’écologie urbaine, venus des sciences humaines. Il ne s’agit pas ici de l’écologie des plantes, mais de celle des formes et activités de la ville. Car les assemblages de commerces, bureaux, habitations, édifices publics… sont des formations urbaines qui obéissent à des lois de voisinage bien précises, tout comme les formations végétales. Ces lois, plus complexes que celles du monde végétal, évoluent du reste avec les époques.

Malgré leur sagesse, ces villes nouvelles avaient quand-même eu le défaut d’être en avance sur leur temps.

 

Elles sont encore en l’état de chantiers inachevés. Cela peut se rattraper… ou pas.

 

Car avec l’indécision de la France, leurs centres courent encore un risque de dilution dans les « entrées de villes » environnantes. La ville est d’abord un phénomène humain. Tant qu’elle n’est pas devenue une système complexe de réseaux de relations, qui se recoupent et s’ouvrent mutuellement des horizons, elle reste fragile.

 



AUTEUR


André DARMAGNAC, géographe, ancien programmateur Etablissement Public Ville Nouvelle.


Évry le 4-2-2011.

Photos F.SENAUD