Les Super


Les super-héros ne sont pas des héros, mais bien plus des super-héros…

Ces derniers ne sont pas seulement héroïques comme pouvaient l’être les héros de la mythologie grecque par exemple, ils sont super-héroïques !

 

Mais comment être plus encore qu’un héros ?

 

Qu’est-ce qui justifie ce super superlatif ?

Si le héros est parfait, il faut comprendre que le super héros est plus que parfait ? Comment peut-on être plus encore que parfait ?


Tandis que les héros commettent des actes glorieux, pleins d’éclats, qui par la suite seront justement qualifiés  «d’héroïques», il semble que les super-héros ne connaissent que de bien piètres « aventures », somme toute de l’ordre de l’anecdotique : les super-héros n’ont rien d’héroïque…

De simples « aventures » pour Superman, rien de moins qu’une odyssée pour Ulysse, une épopée pour Gilgamesh et pas des moindres ! Spider-Man n’a de cesse de combattre contre le Bouffon Vert, mais quel combat retiendra-t-on dans cette furie répétée à jusqu’à l’ennui, furie « pleine de bruit et de fureur » dirait Shakespeare ? Héraclès (que les Romains rebaptiseront Hercule) tue une fois pour toute l’hydre de Lerne (alors que ses multiples têtes se régénéraient doublement lorsqu’elles étaient tranchées !) et c’est certainement cet aspect définitif et radical qui confère à cette action son caractère tant mémorable qu’héroïque.

 

« Aventures », « combats », « rencontres » un pluriel révélateur, finalement un pluriel anhistorique. Les super-héros n’ont pas d’histoire par excès d’histoires, toute bonne histoire doit avoir un commencement mais aussi une fin, un dénouement rappelait Aristote : l’inachevé ne fait pas histoire.

 

Trop « supers » pour s’arrêter un jour, ils manquent de sobriété grecque ces super-héros qui carburent sans fin, indifféremment dans le devoir du bien comme dans celui du mal, avec cette obsession commune de toujours faire leur « job », sans jamais songer à prendre leur retraite… ou pourquoi pas : à mourir comme notre Roland de Roncevaux le fait si noblement _presque en musique ? Mais les super-héros ne savent pas mourir.

 

Des êtres à la verticale facile, certes_voir Superman_ qui semblent agir et même super-agir, mais sans laisser derrière eux d’actes remarquables.

D’ailleurs alors que les états d’âme des héros comptent moins que leur états de service, on remarque le processus inverse pour les super-héros : ce sont des êtres subjectifs.

Les soudains dédoublements de personnalité de Spider-Man, tantôt lâche au possible, tantôt sauveur de la veuve et l’orphelin ; l’amour gérontophile à peine masqué de Bat-Man à l’égard de son brave majordome bien forcé de s’accoutumer à la lycanthropie de son maître ; ou encore la profonde mélancolie post-maniaque de Hulk doublée d’une solitude métaphysique angoissante symbolisée par une errance sans fin… autant de super-héros que de super-pathos.

Au contraire, pas moins de sept ans sont nécessaires à Ulysse captif des charmes « des belles boucles » de Calypso pour que naisse en lui un vague sentiment de nostalgie qui le secoue de son joug ; quant à Héraclès il ne connaît ni la peur, ni le doute, il agit, tout au plus lui arrive-t-il de commettre quelques infanticides dus à un sentiment assez indéfini, suivi d’une culpabilité très brève aussitôt lavée par de nouveaux exploits héroïques … un véritable animal fait pour l’action.

 

Le superlatif « super » du super-héros renvoie finalement à une super-subjectivité devant la difficulté de leur condition, la responsabilité existentielle qui incombe à leur super-condition, leur « super-difficulté-d’être-supers ».

 

Il y a quelque chose même de comique dans ce tragique du personnage pourrait dire Hegel… d’ailleurs ne parle-t-on pas à très juste titre de « Comics » ?

 

Le super-héros est un « super-sujet » : nous en mieux ?

 

Pas nécessairement, il faudrait davantage dire : nous en plus, en hyperbolique, ce qui peut inclure le meilleur comme le pire : il y a de super-méchants super-héros alors qu’il n’y a pas de super-méchants parmi les héros ou alors ce ne sont tout simplement pas des héros, mais des monstres la plupart du temps.

Finalement ces super-héro super-sujets souffrent de « super-normalité », c’est-à-dire qu’ils présentent les caractères de la normalité poussés à l’excès, tout est intensifié, exagéré, chez eux comme dans l’hystérie que qualifie Freud…

 

Le Super héro est peut-être plus « hyper » que « super », il serait alors hyper-subjectif et aussi hyper-normal.  Entre lui et nous : une différence de degré plus qu’une différence de nature. Alors que le héros, lui, est autre, sa différence est absolue : il y un saut métaphysique entre lui et nous, tandis que le super héro n’est qu’un peu plus que nous-même. D’où la sympathie que ce dernier éveille en nous : il nous ressemble.

 

Sympathie pour les super-héros, même les méchants, car empathie qui pousse à l’indentification ; en revanche, étrangeté métaphysique à l’égard des héros, tellement autres... (n’oublions pas que certains sont des demi-Dieux ou accèdent à l’immortalité : Ulysse par exemple). Mais la vraie supériorité est « Autre », elle différence absolue, elle n’est pas seulement « Plus » pour ne pas dire « super » : il n’est pas supérieur celui qui n’est que super…

 

Aucun des super-héros n’est fils des Dieux, ils sont davantage les fils de la science et même de la science-fiction, beaucoup sont des monstres, association fortuite d’un animal avec un homme, pratiquement tous sont les enfants de l’accident : leur super puissance n’est jamais essentielle, mais davantage accidentelle, événementielle, contingente donc… finalement, ils n’ont pas plus d’histoire qu’ils n’ont de Destin, au départ ils ne sont promis à rien comme vous et moi, mais finalement ils nous promettent tout (pas étonnant qu’ils soient contemporains du concept de rêve américain).

Pour autant serait-il légitime de les assimiler, la tentation est forte, au surhomme nietzschéen ?

Tandis que les héros agissent _ne parle-t-on pas de chanson de « gestes » pour désigner leurs actions éclatantes _ nous le disions, les super-héros n’agissent pas vraiment, ils connaissent des aventures, par ci par là, combattent, mais ils réagissent plus qu’ils n’agissent.

Assez manichéens et conformistes, ils se positionnent systématiquement contre les valeurs qui s’opposent à celles qu’ils défendent : les super-héros du bien s’opposant mécaniquement aux super-héros du mal et inversement, sans proposer de nouvelles valeurs morales, ce ne sont pas des créateurs, des artistes de leur existence, leur vie n’a rien d’esthétique, ils la subissent, ils ne créaient aucune valeur décisive… Les uns inter-réagissent avec les autres plus qu’ils n’agissent.

 

Super conformiste le super-héros, soit dans le mal soit dans le bien, soit dans cette oscillation entre ces deux valeurs (la tentation du mal chez Spider-Man et son double incarné par un costume noir) qui finalement marque un super doute qui n’a rien de super original…au contraire, ils nous ressemblent plus encore dans leur tâtonnement moraux. Pour ces raisons Nietzsche, qui n’est peut-être pas seulement un super philosophe mais davantage un philosophe héros, les classerait très certainement du côté des faibles.

Rien d’extraordinaire pour celui qui n’est que super ordinaire, et pourtant quelle dépense dans la monstration de leur pseudo supériorité !

Leur supériorité est hyperbolique, elle ne renvoie pas à l’absolue altérité des héros, c’est ce qui, paradoxalement, fait des super-héros des sous-hommes, toujours excessifs, toujours « trop » : incapables de cette subtile médiété grecque tant recherchée, cette ataraxique juste milieu entre deux excès, qui qualifiait rien de moins que la vertu grecque se résumant en une sentence définissant « le sage », c’est-à-dire l’homme vraiment supérieur, parfaitement homme sans toutefois être Dieu : « Jamais trop »…

Le super héros est vraiment super nase, super nase parce qu’il a trop de pouvoir et qu’il ne parvient pas à les contrôler, or le vrai pouvoir ne réside pas dans le pouvoir lui-même mais dans sa maîtrise… autant ne pas en posséder trop donc de super-pouvoirs.

Bien que l’on soit tenté de croire que les super-héros soient les descendants des héros, on voit qu’entre eux il y a un abîme, une différence fondamentale de nature.

Les super-héros des comics ne sont pas, comme on pourrait le penser, à l’origine une nouvelle mythologie (mais peut-être à l’origine d’une mythologie nouvelle ?). Au contraire même, on a pu remarquer une promiscuité de constitution inattendue entre le super-héros et l’homme normal, le super-héros étant tout simplement super-ordinaire.

 

On comprend mieux à présent en quoi les super-héros se distinguent des héros.

Les super-héros ne sont pas des héros, mais bien moins : des super-héros.


 

Christophe YAHIA est poète, philosophe et mauvais esprit.

 

J'espère qu'aucun super-héros ne traine dans le coin !?