NUMA SADOUL Grands auteurs. Rencontre

 

Interroger un des plus grands intervieweur peut être intimidant sauf quand il a l'élégance de NUMA SADOUL.

Il a rencontré, écouté, publié des entretiens avec Hergé, Franquin, Moebius, Tardi, Vuillemin, Uderzo et aujourd'hui Cabu, Luz, Petillon passés dans l'Histoire .. mais c'est surtout pour sa vision de ces créateurs en AUTEUR qu'il nous intéresse ici.

Une compréhension de leur création qu'eux-mêmes n'avaient pas. Ecoutons-le.

 

Entretien avec Franck Senaud

 



F.SENAUD: Vous avez fait ce travail de penser et faire penser la BD, longtemps déconsidérée par ses auteurs.

 

NUMA SADOUL: C'était surtout longtemps déconsidéré par l'opinion publique. Voire méprisé. Être surpris lisant une BD pouvait vous faire exclure d'un établissement scolaire.

Dans ces conditions, les auteurs eux-même avaient tendance à déprécier leur profession, à se considérer comme les porteurs d'un art mineur.

Il a fallu, dans les années 60, des "penseurs" éminents, Resnais et Lacassin en tête, pour faire accepter la BD comme un médium honorable. Mes collègues et moi sommes la "seconde génération" qui a parachevé la démarche en la popularisant, en créant des fanzines, des festivals, en lui donnant ses lettres de noblesse officielles.

 

Pour ma part, lorsque j'ai fait mon mémoire de Maîtrise à la fac des Lettres de Nice, en 1970, c'était à ma connaissance le deuxième travail universitaire sur ce sujet.

FS: Vous publiez "Les Dessinateurs de presse : entretiens avec Cabu, Charb, Kroll, Luz, Pétillon, Siné, Willem et Wolinski", Glénat, 2014, un livre dense "d'entretiens amicaux mais sans concession" où vous les faites parler de leur travail, comme des artistes revenants sur une oeuvre.

 

NUMA SADOUL:

J'ai fait avec eux comme avec Hergé, Franquin, Moebius et consorts ; simplement, comme ils était 8 dans un seul livre, j'ai fait plus court, plus superficiel, plus dense.

FS: N'ont-ils pas tendance à considérer leur création éphémère, drôle, distanciée comme de moindre importance? Cela a-t-il été facile de leur faire parler de ce qu'ils créent ? Se voient-ils comme des auteurs justement ?

 

NUMA SADOUL:

Ils se voient comme des journalistes de l'instant, des photographes témoins, des privilégiés qui peuvent donner leur impression sur la marche du monde, et être payés pour ça. Ils ont parlé de leur mode de vie avec facilité et passion.

FS:

On vous connaît moins comme auteur de récits, scénarios de BD, essais, de mises en scène, comment cela est arrivé ? Et comment cela cohabite?

 

NUMA SADOUL:

J'étais parti assez tôt, entre 16 ans et 23 ans, pour faire une carrière d'auteur : poèmes, nouvelles, romans, pièces, j'avais commencé à publier pas mal, et le boulevard s'ouvrait pour continuer tranquillement.

Mais la BD m'a happé, à mon corps défendant (à l'insu de mon plein gré ?) et j'y ai consacré 15 années de ma vie à plein temps.

 

Comme entretemps la scène est revenue au galop, par le biais de l'opéra puis du théâtre à nouveau, je n'ai plus eu le temps d'écrire quoi que ce soit, et ma carrière d'auteur s'est éteinte avec l'épuisement des écrits déjà parus.

 

Je ne désespère pas d'y revenir. Mais je suis encore immergé à fond dans le théâtre et l'opéra ; et entretemps, il faut bien le dire, j'ai perdu la dynamique et l'énergie de l'écriture.

M'y remettrai-je un jour ? Dans quelles conditions ? Y arriverai-je encore ? En serai-je vraiment capable ?

Autant de questions palpitantes qui trouveront leurs réponses dans les prochains épisodes de la saga "Numa sadoul's life and works" !