ROSENSTHIEL. Entretien6. FABRIQUER DU HASARD

 

Oui le hasard ça se fabrique ! Mais comment fait-on ? Et puis aussi: pourquoi fabriquer du hasard ? Qu'est-ce que cela dit de nous ? Un entretien dense.



FS : Ce qui est très joli et réussi dans ton livre, c'est qu'on pourrait penser que les labyrinthes sont une jolie forme, et une notion pour l'intelligence intéressante, mais tu leur trouves des applications très concrètes.

Du ramassage des herbes à lapin, à la tonte en tracteur la plus efficace possible, en passant par l'envie d'épuiser un lieu lors d'un voyage à Naples pour finalement flâner et voir des choses que tu n'aurais pas vu. On s'aperçoit que les grilles méthodiques pour parcourir le monde sont beaucoup plus nombreuses qu'on ne pourrait l'imaginer. On vit dans des labyrinthes que l'on fabrique. Et comme tu dis qu'il y a inversion, dans chaque labyrinthe il y a le sens d'une progression, la vie en fait.


Voici une question amusante, j'espère qu'elle donnera envie aux lecteurs...

Le passage où le couple se perd à Naples parlera à tous, tout le monde a voyagé avec une copine ou un copain : ce M.Renard fabrique une espèce de voyage parfait, à telle heure on sera là, internet permet ça mais pas de chance, il y a un impondérable, la ville est arrêtée ! Alors qu'il voulait séduire cette femme, il découvre qu'elle préfère prendre un chemin de traverse, quelque chose qu'ils n'auraient jamais trouvé.

Lequel des deux a raison ?

 

Pierre Rosentiehl :

Personne n'a raison. Je vois le mathématicien avec un caractère un peu systématique. Le fait d'avoir trop fréquenté l'informatique, il teste tout, tout ce qu'il fait. Il y a déformation professionnelle du scientifique, qui au lieu d'aller vers la poésie de la vie, a voulu un peu trop régler les choses et il tombe sur des becs, des obstacles.

Guy Debord main de l'auteur

FS : Cette déviation m'amène vers la « dérive géographique » de Debord.

Une ville est un repérage et un ensemble, et en même temps, on doit pouvoir presque organiser la dérive et l'errance.

Est-ce qu'il faut bien connaître une ville pour s'y perdre ou bien est-ce que l'on peut les organiser mathématiquement ?

Est-ce qu'il fallait tout organiser pour que la dérive arrive ?

Est-ce que c'est justement cet objet-là qui échappe aux mathématiciens ? Et la poésie serait alors là. Ou bien est-ce que l'on peut organiser le bazar ?

 

Pierre Rosentiehl : Non, non, le hasard on peut le simuler quand il s 'agit des avions, et organiser le ciel.

FS : Comment on fait pour simuler le hasard ?

 

Pierre Rosentiehl : C'est comme de tirer au sort avec des dés, on fait çà un grand nombre de fois. On a des procédés numériques assez astucieux pour produire des nombres au hasard, il faut en faire des séquences très longues, des millions. On a des astuces, on fabrique de gros nombre et on ne garde que 4 chiffres au centre, et de nouveau on leur fait subir des transformations.

 

FS : C'est un faux hasard en fait, l'esprit humain est myope, il ne peut pas voir que c'est une suite logique, et il croit que c'est un hasard.

On a évalué, j'imagine, à partir de quand l'esprit humain n'arrivait pas à comprendre la série ?

 

Pierre Rosentiehl : Il ne peut pas. Il est complètement trompé. Mais il y a quand même des tests pour voir si ce hasard n'est pas biaisé, n'est pas vraiment uniforme. Si tu as des chiffres par exemple de 1 à 9, il faudra que l'on s'attende à avoir autant de 9 que de 2.

La machine va produire des coïncidences.