Aurélien MAUPLOT. Entretien.

Des dessins sur des livres, des formes qui se révèleront des pays, des masses de territoire plus rattachés à une géographie. Le travail "Les possessions" d'Aurelien Mauplot est à la fois une idée et une chose sensible. Il revient avec nous sur sa cartographie.

 

Entretien par Franck Senaud

 



Franck Senaud :

Ce que vous présentez est fragmentaire ET de dimensions variables. En quoi la présentation physique de votre travail influe sur son sens?

 

Aurélien Mauplot :

La variabilité de ses dimensions n'est pas particulièrement conséquente sur le sens de la pièce. Au contraire, ses modifications sont dépendantes du lieu de son exposition et des possibilités d'accrochage qui en découlent.

 

 

 

En revanche, présentée au mur, les Possessions prennent une forme de planisphère désordonné, remettant en cause la géographie connue, acceptée et inchangeable, au risque de se perdre dans un labyrinthe de formes et de données incompréhensibles.

 

Il s'agit là d'une remise en question de ce que nous sommes capables de voir et de comprendre d'un monde délimité par des frontières, ridiculisées par l'inversement de l'orientation classique d'une majorité de cartes présentées (présentées normalement Nord/Sud). Lorsque je regarde les Possessions, je cherche ce que je vois, je regarde des formes absolument connues et pour beaucoup, indéchiffrables immédiatement. Mon sens de l'orientation est perturbé jusqu'à ce qu'une silhouette résonne, c'est une carte, c'est mon pays. Quel est ce pays que je connais et que je n'ai pas su retrouver?

 

La fragmentation est un impact de l'éclatement du monde que j'applique dans cette pièce.

 

Il n'est plus question de pouvoir se repérer, mais de reconstruir un objet, un ensemble de connaissances et plus tard de jouer à tracer une histoire informe en reconstruisant les repères graphiques afin de comprendre et d'assimiler les images (ou la seule image du monde) qui m'est offerte à voir.

 

 

 

Si je présentais le livre à nouveau relié, dans une boîte en bois à l'intérieur en velour rouge, nous aurions tendance à retourner le livre pour retrouver le bon sens de la carte.

 

Accrochées au mur, immobiles, inchangeables, les Possessions deviennent un ensemble abstrait d'un monde non-maîtrisé, d'un monde devenu inconnu et a priori, immatériel.

Franck Senaud :

Vous dessinez la forme abstraite du pays, sa reconnaissance symbolique plutôt que visuelle sans doute, vous les présentez sur le principe d'un atlas en un sens que vous déséquilibrez dans le même temps (mise à plat physique, lien distendu entre les éléments. .).

 

Pourtant vous avez évacué, une information importante, sa couleur. Pourquoi ce choix ?

 

Aurélien Mauplot :

Mon travail se concentre, depuis 2009, à une minimalisation de formes connues. Au départ, les contours sont apparus comme une évidence, mais le vide qui les composait ne pouvait laisser apparaître la teinte du support.

Approcher le noir comme couleur sourde, invoquant la profondeur et la déformation de l'objet, semblait répondre à ma recherche graphique.

Je ne considère pas qu'il y ait une évacuation du contenu colorimétrique. Au contraire, le noir vient dénaturer et transformer l'objet, ici, la carte.

 

La carte d'un pays est définie selon des frontières, fondamentalement influencées par l'Histoire. Appliquer le noir, plutôt qu'une couleur me permet d'apporter une neutralité aux contenus référentiels potentiels qui se dégagent forcément d'un pays.

Par ailleurs, les couleurs permettent initialement de distinguer plus facilement un pays, son contour et sa frontière, sur un planisphère classique ou une mappemonde, ou toute autre carte géographique. Le noir vient alors isoler la forme dans un non-sens (occultation de son identité, désorientation de sa situation).

Au final, il s'agit d'une abstractivité du monde, advenue comme une nécessité, répondant à la fois aux critères définitifs qui permettent la conception d'une carte géographique ou historique (cette dernière invoquant substanciellement la possibilité que l'histoire, d'un point de vue populaire, soit immuable).

 

FS:

Votre cartographie est fort liée à l'histoire. Avez-vous travaillé sur

des cartes, formes à l'échelle d'une ville, d'un quartier ? Cela aurait

il encore un sens dans votre travail ?

 

AM:

La cartographie est forcément liée à l'histoire. Elle compose sa forme et permet d'illustrer un contexte. Les Possessions se situe entre une forme abstraite, une constatation historique et effective de notre réalité. En d'autres termes, la cartographie devient un outil d'accompagnement destiné à construire des images, à éclaircir ou à concentrer une pensée.

 

Avec les Possessions, le rapport à l'histoire est d'autant plus fort que les cartes sont imprimées sur les pages du Tour du monde en 80 jours de Jules Verne. Si le récit fait aujourd'hui partie de l'histoire de la littérature, il évolue également au coeur de la civilisation coloniale, peut-être la période source de notre monde globalisé. Je parlais d'immuabilité précédemment.

Les cartes, ou l'histoire, telles qu'on nous les présente à l'école, sont abordées comme si c'était définitif et qu'il était difficile, voir impossible de remettre en cause le fait historique et sa sa composition. Or les traits du monde ne cessent de se déplacer et de se transformer. Les vérités se tendent et se défont, pour laisser place à de nouvelles idées. Finalement, l'histoire est une perpétuelle hypothèse réelle, aussi concrète qu'est une terre que nous n'avons jamais foulé, ou une histoire que nous n'avons jamais vécue.

 

Jusqu'à présent, les cartes que j'ai produites se concentrent sur des pays, des îles, des archipels et, plus récemment, des montagnes. J'ai tenté une fois de reinterpréter un plan de ville et je m'y suis perdu. Exactement comme lorsque je visite une ville, je m'y perds sans cesse, et retombe par hasard sur mon point de départ. Et au contraire, je sens que je navigue plus facilement vers des mondes inconnus, impalpables, à la limite de l'inexistant; je m'y retrouve et j'explore ces dimensions imaginaires, singulières, restant fasciné par les Kerguélen ou l'île aux ours, ces terres gigantesques où il est possible de croiser l'immatériel et de construire ses propres histoires.

 

Les cartes ne peuvent-elles pas être leur propre histoire?

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