SIMONOT. La langue des projets. Rencontre

Auteur, metteur en scène et sociologue de la culture, Simonot analyse avec nous les rapports entre l'artistique et le politique. Il livre dans "La langue retournée de la culture" une vraie  pensée de la transformation libérale des politiques culturelles.

 

Entretien avec Franck Senaud. Novembre 2017



 

FS

votre livre est sincèrement passionnant et je suis heureux de pouvoir le partager et en savoir un peu plus sur son projet et surtout sur sa pensée.

Car, comme vous l'écrivez dans le préambule, on manque de pensée et les termes qui présentent les projets culturels aujourd’hui montrent ce glissement hors du sens politique.

De quand datez-vous ce glissement ? Et sur quels événements ?

 

 

MS

Une précision d’abord sur la question: ce n’est pas un glissement « hors de la politique ». d’un côté, je dirais que c’est la politique publique elle-même qui a changé de sens (et qui continue), de l’autre, parallèlement, les terme, la langue se sont transformés au fur et à mesure. Ils ne sont pas sortis du sens politique.

Si on accepte de dater cette politique publique de l’après 2° guerre mondiale, je dirais qu’il y a deux étapes principales de transformation.

- l’élection de Mitterrand en 81, la nomination de Jack Lang. Et immédiatement en 82 les lois de décentralisation administrative. En même temps les premières initiatives publiques de lien avec le secteur privé marchand.

- les années 2010 et actuelles, où les politiques publiques sont de plus en plus conçues comme une forme de soutien aux politiques privées-marchandes: un inversion totale des principes des politiques publiques antérieures. Cette inversion est, depuis deux ou trois années en voie d’achèvement, au point où on peut parler de « renversement ». Ce qui se traduit dans le vocabulaire, la langue des politiques publiques elles-mêmes et celle des « acteurs » culturels et artistiques.

 

FS

 

Dans l'article "action culturelle actions culturelles" vous précisez qu'un  changement de vocabulaire est intervenu au début des années 2000 ( du singulier au pluriel) que s'est-il passé dans cette période ?

 

 

 

MS

 

Le début des années 2000 c'est la lé période où l'administration se prépare à exiger des services publics du "rendement", par le biais de ce que l'état à appelé la RGPP (révision générale des politiques publiques) en 2007 (devenue Map ensuite). Autrement dit, c'est la période où c'est moins la dimension qualitative des publics que l'on va rechercher qui importe que sa quantité. Cela se fait progressivement. C'est un renversement de la priorité des politiques publiques qui est en train de s'opérer ,  et de s’accélérer. La RGPP (qui concernait tous les services de l'Etat) sera la concrétisation administrative et contraignante de ce renversement.

 

Parallèlement, ce que l'on nomme "élargissement des publics" a de moins en moins une visée de démocratisation de l'art et de la culture mais est une recherche d'une sorte "d’efficacité sociale" DANS la société, une recherche "d'effets" : ainsi on a parlé, avec Chirac de "réduire la fracture sociale", puis on a demandé (et on demande toujours) à l'art et la culture publique de "créer du lien". Autrement dit les politiques publiques de la culture ne se donnent plus comme priorité de soutenir la culture et la vie artistique ainsi que sa démocratisation, mais d'avoir un rendement social,( puis économique aujourd'hui).

 

Ceci explique pourquoi les pouvoirs publics ne donnaient plus une mission sur le long terme de sensibiliser, conquérir un public "éloigné" de la culture, mais une obligation d'organiser des actions courtes, ayant une "efficacité immédiate" et, surtout visible, vendable en terme de communication. D'où le passage de la mission publique "d'action culturelle" (le long terme) à des commandes "d'actions culturelles", segmentées, (le court terme).

 

A SUIVRE