PLISSART. Entretien6. L'ATTENTION

 

De la ville aux visages, un même enjeu: interroger celui qui va regarder.

 




 

Plissart : Ca c’est les suites de l’adolescence, je ne peux pas le dire autrement. Quand j’étais adolescente les visages m’intéressaient. Je suis en train d’y retourner.

Franck : Voici des portraits très récents. Etre photographe de théâtre vous intéresse parce qu’ils bougent et qu’en même temps il y a une certaine intensité ?

Plissart : Etre photographe de théâtre, ce qui m’intéresse c’est tout ce qu’il y a autour, c’est les « à côté ». Ici Françoise Béranger que je photographie est en répétitions et donc c’est du bricolage. On n’est pas dans une situation théâtrale.

 

Franck : C’est le côté hors champ qui vous intéresse ?

Plissart : Oui là c’est vraiment le royaume du hors champ. Je suis dans les cintres comme on dit et ce qu’on voit là, ce sont les indications des lumières. Bob Wilson met en scène Orlando. Ici c’est une personne qui lit un texte et qui bouge un grand cadre noir, on croirait que c’est une corrida.

C’est quelque chose d’assez formel, tout est assez bien tenu, le cadre est tenu, et on obligé de regarder, comme si le regard attirait la tension.

Franck : La tension en deux mots ?

Plissart : En deux mots mais aussi en un mot. Mais ce qui m’intéresse c’est qu’une image raconte une chose et aussi une toute autre chose, qu’elle soit dans le paradoxe, qu’on puisse aller dans telle direction, qu’elle soit à la fois très tenue dans sa manière, peut-être comme celle avec l’arbre et qu’il y ait plusieurs signes, qu’il y ait plein de signification, qu’il y ait de l’ambiguïté, qu’elle soit ouverte.
Pour qu’elle soit riche. Il faut que chacun puisse voyager, celui qui prend la photo, celui qui regarde, il faut que ça crée du possible. Celui qui regarde doit être absorbé et que ça l’enrichisse, qu’il parte. Sinon c’est totalitaire.

Franck : Est-ce que c’est préparé ?

Plissart : Non justement c’est ce que je vous dis, il y a des photos qui viennent parce que j’ai l’appareil en main, parce que j’ai trainé avant, et puis il y a des photos où tout à coup je me dis « wahou » ou alors « là il y a du potentiel », « là il y a moyen de faire quelque chose » et puis je cherche. Que j’y arrive tout de suite ou pas n’a pas d’importance, mais je le vois.

Je peux vous montrer une photo que je viens de faire dont je suis très contente, parce que j’avais l’appareil qu’il fallait : il y a toute sorte de figures.

Franck : Benoit Peeters dit qu’ « il y a toujours un travail d’appropriation précautionneux de l’espace et de ses relations ». Il y a appropriation, vous reniflez, enquêtez. « Précautionneux » le terme a l’air de dire que c’est assez précis sans vous encadrer. C’est tout ce que l’on a avec soi, tout ce que l’on a étudié qui va contribuer à la photo sans que ce soit visible, non ?

Plissart : Ca dépend des périodes mais je ne suis pas toujours en situation de captation.

Franck : C’est un état que la commande fabrique ?

Plissart : Oui c’est ça. Il n’y a pas moyen de pousser deux fois sur le bouton, je devrai parce que c’est quand même très risqué, je peux me tromper, faire des erreurs.

Franck : Pourquoi vous faites ça ? C’est une espèce de tension ?


Plissart : C’est comme cela, c’est l’idée que c’est sacré, que c’était mal élevé d’appuyer deux fois sur le bouton, de prendre une sécurité.

C’est comme si vous passiez un moment extraordinaire avec quelqu’un et que vous ne pouvez pas faire répéter, ce que cette personne vous a dit, vous n’avez pas le droit de reposer la question.

Franck : Je comprends humainement ce que vous dites, mais si mon souci c’est de vous faire expliquer, je ne comprends pas tout à fait.

Plissart : Je n’ai pas assez bien expliqué ?

Franck : Non ce n’est pas ça mais vous dites qu’il y aurait une espèce d’instant sacré de la photo, d’instant décisif, et en même temps, beaucoup de choses dans votre démarche ne disent pas cela.

Vous allez sur place sentir, vous trouvez un angle pour prendre Bruxelles de haut, alors que ce n’était pas ce que vous cherchiez avant et que la situation, le lieu vous disent quelque chose, quand vous rentrez chez vous, cela change votre façon de faire, vous revenez avec une grille, vous dites que vous êtes nourrie par la littérature. Ca fait beaucoup de hors champs qui sont, il me semble, anti instant décisif. Tout dans votre travail a l’air de nier une espèce d’idéologie de l’instant décisif.

Plissart : Pour la photo avec Bob Wilson c’était un instant décisif. Ca c’est vrai. Je n’ai pas de religion à ce propos mais quand même l’attitude que l’on a est celle d'un chasseur. Je dis cela aujourd’hui même si je n’aurais pas dit cela avant.

Il a du respect pour sa proie. Je ne pratique pas toujours la photo comme un chasseur mais il y a quand même un côté chasse et pêche.

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