MAXIME COULOMBE. Petite philosophie du zombie (PUF, 2012).

Entretien avec F.Senaud .


Corps errant de chair en chair, le zombie a une histoire culturelle, cinématographique riche, mais M.Coulombe y voit une métaphore de notre rapport à la vie, perfomance et en un inquiétant avenir commun : le fantasme de notre destruction.



FS:

Vous décrivez dans votre passionnant ouvrage que la "véritable trame de l'ouvrage"(p18) serait dans les "aller-retour entre notre culture et ce motif (vous dites aussi figure) émergera lentement une ambiance, véritable trame de l'ouvrage". Que sous entendez-vous ici ?

 

Maxime COULOMBE:

Il faut sans doute dire quelques mots sur la genèse de ce texte, elle est assez révélatrice du projet et de l’ambition du livre. Ce n’est pas d’une passion particulière pour les zombies qu’est né ce livre, mais d’une question et d’une inquiétude.

En 2001, les PUF m’avaient demandé d’écrire un article sur la figure du revenant pour le dictionnaire de la violence. En bon historien d’art, pour moi, le revenant, c’était évidemment le fantôme, motif classique, en quelque sorte, omniprésent dans la tradition. Pourtant, plus je travaillais, plus je cherchais, plus je réalisais que si le fantôme avait bien été le revenant de la modernité, pour notre période actuelle, le fantôme avait été remplacé par un autre motif : le zombie.

Le fantôme avait été la créature d’un monde où les normes entourant le passage de la vie à la mort étaient claires. Si une violence – physique, symbolique – a dénoué la ritualité de la mort, le fantôme revenait pour demander réparation. Le fantôme, on le voit déjà dans Hamlet, est un gardien de la tradition, il retisse le lien entre le passé, le présent et le futur; entre les vivants et les morts.

On ne peut en dire autant du zombie. Il ne répare rien, bien au contraire… Le zombie mange le vivant, et vise à la victoire de la mort sur la vie.

Partant de cette différence, du fait qu’une figure imaginaire peut se faire le symptôme d’une époque, j’ai décidé de faire du zombie un analyseur de notre condition contemporaine.

 

 

Mon livre voulait se servir du zombie comme point de départ, comme guide. J’en ai fait une sorte de Virgile capable de pointer du doigt les fantasmes et les désirs de notre époque. Ce qui me fascinait tout particulièrement dans le cinéma de zombie, pour ma part, c’était l’apocalypse auquel il ouvrait et qui semblait répondre au pessimisme qui anime notre époque et tout spécialement les médias.

D’où l’ambiance de ce livre : à prendre le zombie comme guide, on plonge dans les angoisses de notre époque, mais aussi sur notre inconscient.

Georges Romero

FS:

Vous décrivez trois grandes périodes disons (l'original, Romero et le support de nos peurs actuelles si vous me permettez cet immense raccourci), vous dites de façon particulièrement intéressante que la force d'une image serait de supporter ces différentes significations (voilà qui définirait peut-être une figure): y avez-vous vu des différences visuelles ?


Le zombie a-t-il toujours la même apparence ?

 

Maxime COULOMBE:

Le zombie haïtien est l’origine du zombie cinématographique, et à la fois une exception.

Le zombie, selon la mythologie haïtienne, n’était pas un mort-vivant mais un individu envouté par un sorcier, et si cet envoutement le laisse sans conscience, il n’était pas pour autant un cadavre.

Cette idée d’un mort vivant est, en quelque sorte, la nouveauté de Romero et cristallisera sa représentation visuelle. Le zombie est un mort dont une part infime du cerveau, la part la plus primitive, se serait remise en fonction. Il est donc en décomposition, et à la fois mu par des pulsions animales, primaires. D’où ces mains tendues, d’où aussi cette obsession de la bouche, d’où sa lenteur. Les petites nuances dans cette représentation tiennent aux transformations du motif, autrement dit, aux transformations dans la conception même du zombie.

Dans 28 days later , par exemple, des êtres en tout point semblables à des zombies, mais frappés par la peste, courent pour attraper les survivants. La vitesse, prolongée par une caméra nerveuse, remplaçait l’habituelle lenteur du zombie.

 

Le zombie demeure une créature plastique , elle s’adapte à nos peurs, se transforme en même temps que nos obsessions. Voilà bien pourquoi les films de zombie appartiennent moins, désormais, au cinéma d’horreur qu’au cinéma d’apocalypse. La fin du monde et la contagion sont deux de nos grandes terreurs, de nos grandes obsessions. Le zombie se retrouve à la conjonction des deux craintes : il est le fait d’une contagion qui emportera la planète.

Il n’est désormais plus de zombies sans une représentation de la planète décimée, sans un long traveling à travers une ville en ruine, abandonnée.

 

 

Voilà pourquoi, à mon avis il est si populaire, il figure métaphoriquement, et offre par le biais de la fiction, la représentation de nos peurs.

FS:

Le zombie, sa chair décomposée est donc une créature uniquement de cinéma, nulle source visuelle de peinture, théatrale ou illustration populaire?

 

M.COULOMBE:

 

On assiste à une invasion – qu’on me pardonne l’expression facile – de zombies dans la culture contemporaine. Tout particulièrement dans les médias de nature visuelle.

L’insistance sur sa décomposition, son horreur, son gore, sur sa ressemblance à l’homme, appellent naturellement une représentation visuelle. Le cinéma de zombie, s’il devient véritablement populaire avec World War Z, est un créneau ancien. Ce qui apparaît remarquable, au fond, c’est l’ouverture du genre à d’autres médiums. On trouve des zombies dans la bande dessinée : la série Walking Dead fut d’abord une BD à succès.

On dénombre aussi énormément de zombies dans les jeux vidéo : ils représentent pour ainsi dire l’ennemi “politiquement correct” par excellence. Il permet de tuer, à l’écran, des êtres humains, en masse, sans que l’on ne doivent s’émouvoir de cette violence : ceux-ci sont déjà morts, et puis ils ont décimé la planète. De même, le développement du graphisme permet à ces jeux d’insister sur l’abject, le sang, la violence.

Quant à l’art contemporain, souhaitant encore entretenir une certaine distance aux médias de masse, boude largement la figure du zombie, en tous les cas dans sa représentation classique.

 

C’est le champ de la littérature, moins naturellement encline à représenter des zombies – sa préférence portant plutôt sur les vampires – qui, depuis quelques années, succombent de façon révélatrice à la vague. Pensons à World War Z qui fut d’abord un roman. De même, Seth Grahame-Smith s’est rendu célèbre en insérant des attaques de zombies dans la trame de romans classiques comme Orgueil et Préjugé. Si l’idée est excellente, le roman est malheureusement assez mauvais.

 

Walkin dead en BD

A SUIVRE