JODOROWSKY Rencontre

 

Alejandro JODOROWSKY ressort un film merveilleux, "la danza de la realidad", après 24 ans d'absence des écrans.

 

Trois questions au maestro...

 



Franck SENAUD:

Vous m'avez indiqué que vous ne dessiniez pas (storyboard ou esquisses colorés) avant le tournage, vos films -et le dernier est une merveille tout autant- ont un fort impact visuel: couleurs, décors et paysages, costumes, lumières, gueules de comédiens, comment composez-vous ces images et comment les évaluez-vous?

 

Alejandro JODOROWSKY:

...... Diriger un film exige la même atitude artistique que pour un peintre ou un poète:  en eux, en moi, il n'y a pas d'intervention de l'intellect quotidien, on est dans un état de transe.

On commence la création sans savoir clairement où l'on va, puisqu'on se détache de tout plan, on se donne, à tel point que la création nous possède et nous emmène comme un vent de tempête vers des abîmes que l'on ne soupçonnait pas.

Je n'ai pas la capacité d'évaluer mes images, elles sont nées comme d'un ventre maternel, je les aime d'une façon angelico-animale, avec un coeur dépourvu de la critique qui est nécéssaire pour évaluer quoi que ce soit.

 

Quand on aime disparait toute échelle de valeurs, on se trouve avec des images qui sont des êtres, parties de notre âme. Comment se séparer d'elles pour les juger? Les évaluer, ce serait comme si une main essayait de s'attraper elle-même.

Copyright Pascale MONTANDON JODOROWSKY
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Franck SENAUD:

Le travail de montage est une part immense de votre film, moment où vous semblez réécrire (là serait davantage la proximité de votre travail avec les surréalistes ?) une seconde fois.
De quel matériau disposiez-vous après le tournage de Danza de la realidad ? Et comment le travaillez-vous ? Par ordre chronologique ? Thématique? Décors?

 

Alejandro JODOROWSKY:

Un film ne se compose pas de parties, il est un seul être en constante évolution. Il est une chose quand on a l'idée première.

L'idee première change quand on la développe dans un script. Le script change quand on prepare le film, les lieux, les décors, les acteurs. La préparation change quand on filme plus ou moins 50 heures d'images. Le tournage change quand on réduit ces 50 heures filmées en 2 heures. Le montage change quand on ajoute les effets numériques, change quand on travaille la couleur des images, change quand on ajoute les bruits, change quand on ajoute la musique,  change quand on double certaines voix, change quand on réalise les sous-titres, change quand on fait la promotion.

Le travail général n'obéit pas à un plan sinon au caprice de mon instinct, il me dit quelle est la marche à suivre, et cette marche peut changer selon les difficultés que présente le chemin.

Par pitié, ne me demandez pas des plans.

 

Copyright Pascale MONTANDON JODOROWSKY
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Franck SENAUD:

Comment sait-on qu'un tel film est terminé ?

 

Alejandro JODOROWSKY:

On sait que le film est terminé quand le temps que nous fixe l'argent est périmé. Une oeuvre d'art n'est jamais terminée.

Demander qu'une oeuvre d'art soit terminée serait comme penser que la création de l'univers est déjà terminée.

Copyright Pascale MONTANDON JODOROWSKY
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