ENTRETIEN 5.

La puissance graphique et culturelle du feu. Vinci, La tour.. Des propos échangés avec Christian JACCARD.


Photo Franck Senaud

DES TABLEAUX OUVERTS

FS: Finalement, dans ce que vous décrivez là,vous êtes en deçà du narratif, pour que le public se le fabrique. Sa projection va être une façon d’attraper votre œuvre.


CJ : Sans doute ; le tableau avec sa texture et ses caractéristiques est offert au regard du public qu’il s’appropriera en fonction de ses critères esthétiques et de ses interrogations. Il y a des gens qui sont complètement fermés ce que je conçois aisément et d’autres plus ouverts.

FS : Peut être vous souvenez vous de ce magazine. Là aussi, la formule est très belle et ça va avec ce que vous disiez du hasard, « Rien dans le feu est reporté à plus tard ».

Chacun côtoie le feu mais ignore cette idée là, c’est aussi ce qui fait que c’est assez magique quand on l’entoure.

 

CJ : Il convient de s’emparer du feu dans son sens le plus large et nous ne pouvons ignorer sa fugacité, son énergie fulgurante ses moments torrides, son impondérabilité quand soudain il est sous l’emprise d’un hasard dissipé. Sa magie peut être aussi bénéfique que mortelle.

 

Une exposition récente (Villa Tamaris, Centre d’art contemporain, La Seyne sur mer)** intitulée « Énergies dissipées », dont le contenu présente les relations intimes entre l’entrelacs des nœuds et des combustions et où les forces confrontées s’exhibent et se disséminent. Le terme dissipé est à plusieurs détentes: par exemple le nœud est un instrument de mesure ; ailleurs un terme auquel la physique quantique et les mathématiques s’intéressent pour la mise en équation ; il s’agit aussi des fractales. Et pour le feu il en est de même de différentes entrées ou sorties.

DES IMAGES METAPHORIQUES

FS : Pour Daniel Arrasse dans son livre sur Vinci, décrit l’entrelac comme une espèce de motifs de recherche continuelle, comme façon de capter le monde, dans les cheveux, dans l’eau.

 

CJ : L’entrelacs est un terme générique qui depuis la nuit des temps interpelle l’humanité. Mon travail consiste à explorer, à produire et à confronter des situations peu évidentes car peu narratives, pas descriptives ; elles sont symboliques, métaphoriques. De ce côté là, il y a encore beaucoup à penser à faire, à dire.

FS : Il y a quand même une série dans votre oeuvre (et elle apparaît de façon inattendue ) de figuration et narration. Ma question est simple, faut-il qu’il y ait quelque chose de systématique dans la façon dont vous « défigurez » ces images, dont vous posez les mèches ? J'ai l’impression qu’il faut que cette trame de brulure vienne contrer l’image de façon systématique, vienne à la fois dissiper l’attention et en même temps conserve le représenté ? Vous n’avez pas totalement défiguré les personnages même quand ils sont très masqués, ils gardent un œil ou des indices.

 

CJ : Dans la correspondance échangée avec Germain Viatte j’explique le processus des Anonyme calcinés. J’appelle les biffures des traces de combustion qui scandent le tableau d’origine anonyme, le morcèle, pour le recouvrir progressivement d’un voile tout en cadrant quelquefois des petites fenêtres qui permettent à certains fragments de l’iconographie initiale d’apparaître et de la repérer. La biffure qui paraît systématique n’est pas toujours identique. Elle agit comme une signature banale opérant sur les tableaux tous siècles confondus ; on finit par ignorer à quelle époque les tableaux appartiennent

 

FS : Et cet espèce de système les rapproche les uns des autres ?

 

CJ : Exactement.

FS : Je reviens sur mon obsession, justement que le fait que ce soit tellement narratif dès le début que la systémique était presque obligatoire ?

 

CJ : Les Anonymes calcinés caricaturent les divers genres de la peinture de chevalet et sa problématique comme une espèce de rupture ironique. Ni installateur ni performeur, n’ayant ni cette culture ni cette formation l’artiste revendique sa posture de peintre dont il a oublié la formation traditionnelle et entretenant une relation assez chaotique avec celle-ci.

La phrase mémorable de Marcel Duchamp « Prendre un Rembrandt comme planche à repasser » fut le déclencheur des Anonymes calcinés ; ce n’est pas Rembrandt qui fut le déclic mais le fer à repasser et ce que ça sous entend.

FS : Cela a fait réagir fort que vous brûliez des œuvres ? Il y a pas mal de gens qui vous questionnent là dessus.

Ce n’est quand même pas anodin de brûler une œuvre ?

 

CJ : Oui, bien sûr on m’interroge. Je recommande de lire "Conversations" dans lesquelles je m’explique à ce sujet. Montrer les Anonymes calcinés dans de bonnes conditions est difficile, c’est certain.

 

Un projet d’exposition en écho à George De La Tour, - parce qu’il a peint la flamme et l’iconographie religieuse l’inspira – alors qu’ un feu couvert « peint » les Anonymes dont les thèmes sont souvent religieux ; est en préparation espérant que cet hommage aura bientôt lieu.


JACCARD. Entretien 6