PETIT. Prouvé L’utilisation des machines 1/8

L’utilisation de machines est inhérente à la production industrielle. Elle peut sembler contradictoire avec l’idée d’art. Elles réduiraient le travail de l’artiste, l’éloignant de sa création.

Or un maniement habile et réfléchi des outils offerts par l’industrie permet paradoxalement une main mise plus certaine encore de l’artiste sur son oeuvre.

 

Extrait de mémoire Master II en Esthétique et philosophie de l’art. Novembre 2016



La maîtrise de l’outil de travail

 

 

La machine, à la différence de l’outil, effectue elle-même le travail qui lui est donné à faire. L’outil nécessite en revanche qu’une opération manuelle soit accomplie, il est dans un rapport plus direct à la main de l’homme. La machine au contraire tend à créer de la distance. Elle mobilise une force qui peut égaler le travail de l’homme, mais surtout le dépasser. Elle offre donc des possibilités matérielles supplémentaires. On parle de machine-outil dès lors lorsqu’elle accomplit des tâches répétitives sans nécessiter l’intervention de l’homme. L’aspect de la machine qui va ici nous intéresser n’est pas l’alternative au travail manuel qu’elle représente, mais plutôt sa capacité à accomplir des tâches impossibles à l’homme.

 

 

 

Lorsque Prouvé installe ses nouveaux ateliers à Maxéville, un des postes de dépense principal concerne l’achat de nouvelles machines. Il doit acquérir de nouvelles plieuses pour atteindre la production sérielle envisagée4.

 

4 Jean-Claude BIGNON, Catherine COLEY, Jean Prouvé. Entre artisanat et industrie, 1939-1949, Nancy, AMAL - École d’architecture de Nancy, novembre 1992, p. 111-113.

 

Ce saut quantitatif implique un saut qualitatif. Ce type de machine est nécessaires dans la mesure où les opérations qu’elles accomplissent ne peuvent pas être réalisées par l’homme. Même s’il est possible de la régler, la machine exécute une opération autonome. Le résultat obtenu n’est pas la réalisation directe d’un travail manuel. Par rapport à un outil, elle ne dépend pas d’un geste. La machine impose donc une certaine utilisation. L’ambivalence de la machine réside dans son nécessaire usage et dans son impossible maîtrise. Elle impose son utilisation, mais sans elle, Prouvé ne peut pas travailler. Avant même de maîtriser sa création, il doit maîtriser ses machines. Un service établi dans les ateliers met justement au point des machines ou bien améliore celles déjà achetées5. Il y a donc une volonté de contrôler leur fonctionnement pour produire au plus près des projets imaginés. Ce lien direct de Prouvé aux machines de ses ateliers tend à en faire des outils. Il ne les laisse pas lui dicter une certaine utilisation. On ne peut donc pas considérer que les machines constituent une forme d’avilissement spécifique à l’industrie. Chaque artiste utilisant un outil en est dépendant. On peut alors différencier des degrés, mais il ne faut pas voir les machines comme un obstacle particulier à la création chez Prouvé.

 

 

Il ne faut cependant pas considérer les machines de ses ateliers comme autant d’outils différents. Elles sont toutes prises dans une logique générale de production.

 

C’est leur travail mis bout à bout qui constitue un seul et même outil. On devrait alors plutôt parler d’usine pour qualifier les ateliers de Maxéville. Le travail artisanal est de loin dépassé par les machines utilisées.

Au sein d’une usine, le terme d’atelier sert à qualifier un secteur de production. C’est le regroupement de tout ces ateliers qui constitue une usine.

Mais ce terme ne reflète pas la méthode de travail de Prouvé, consistant en des allers et venues constants entre le bureau d’étude et les ateliers de production. Prouvé tient compte des machines qu’il a à sa disposition pour concevoir des objets. Parler d’usine met de côté ce fonctionnement particulier.

Le choix du nom « Ateliers Jean Prouvé » permet ainsi de refléter ce caractère pluriel. Prouvé apparaît comme le chef d’orchestre donnant de la cohérence à un ensemble de tâches. Le terme d’ateliers ne révèle pas l’utilisation de machines, mais il correspond au rapport particulier entretenu par Prouvé et les machines.

C’est l’ensemble formé par ces ateliers qui constitue son outil de travail.