Funny Games de Mickaël Haneke ou la vision panoramique.


Synopsis :

Une famille paisible est prise en otage par deux jeunes psychopathes. Victimes du sadisme de ces voyous, les parents sont terrorisés, blessés, humiliés et deviennent l'objet d'un jeu cruel au cours duquel leur enfant est abattu sous leurs yeux. C’ est le cadre de l’histoire, c’est à dire ce qu’il nous est donné visuellement de voir.

C’est le cadre de l’ histoire : Ce qu’il nous est donné visuellement de voir.

Dans ce film, le réalisateur utilise un procédé qui consiste à rendre le spectateur, acteur, pour ne pas dire responsable, de sa visualité consentante, et auteur du regard qu’il porte de ce film.

Deux adolescents néfastes et intelligents s’invitent dans une famille paisible pour y semer le chaos. La famille n’est pas banale, bien au contraire, elle est le vouloir vivre de la norme, le mode de vie auquel les lois de la démocratie sont faites. Peu importe le métier, l’opinion politique ou religieuse des individus de cette famille : Ils sont tous et individuellement inoffensifs et ne présentent aucun des symptômes qui pourraient heurter les valeurs qui s’apparentent à la vertu. Ils vivent dans une sorte d’équilibre dans lequel le pacte de non-agression envers autrui est explicite. Cette description tend à montrer que cette famille vivait , avant l’intrusion des deux jeunes hommes, dans un réel dont les instances morales et les pulsions primitives de la vie coexistaient pacifiquement. La vie dans le réel est leur enjeu, toute la conduite des différentes composantes de cette famille est entièrement dévolue à un être ensemble, en famille et avec tout le monde, pour un réel communément voulu. La vision est nette et un chat, même s’il n’est pas un chat, n’est pas pour autant un loup.

Dans l’univers de cette famille agréable, personne n’est dupe de l’ existence du mal, celui qui appartient au réel, c’est-à-dire qui possède une cause qui le rend tout à fait possible par sa pleine inscription dans le réel. Tout surgissement inattendu est irréel, illogique et inutile. Nos deux jeunes gens entrent en scène de manière accidentelle mais pour une raison réelle : le besoin d’emprunter pour toujours des œufs. Il y a un don qui sera fait à des inconnus. Personne ne s’attendait à leur visite, mais elle reste possible car pensable.

Dès la première rencontre, le spectateur sent qu’une brèche, pressentie comme fatale, est ouverte. C’est le virtuel qui fait son entrée. Celui dont l’instance dirigeante est l’irréel.

Précisément l’ange déchu du réel. Les deux protagonistes vont se défouler comme l’on se défoule dans un jeu vidéo.

Ce n’est pas un jeu de massacre barbare, au sens où l’on détruit tout ce qui bouge, c’est «  un lent, mais raisonnable dérèglement des sens » (Rimbaud).

 

Ils sont méthodiques, ils vont saper les défenses du réel de telle manière que celui-ci, loin de disparaître, va progressivement et tout au long du déchaînement de la violence, absorber l’impensable pour le rendre possible. Michael Haneke fait dire à l’un des "joueurs" que l’illusion est aussi importante que la réalité puisqu’elle a des effets sur elle. Nos deux psychopathes jouent, et puisque le jeu est un défouloir sans limites, le but est de ne pas perdre donc faire durer réellement le plaisir virtuel.

La question que pose ce film est la puissance du virtuel : Pourquoi n’est il pas réel alors qu’il est possible ? Le caractère premier du virtuel est sa différence avec le réel : Sa façon inattendue de surgir qui en fait, à tous les coups une réalité neuve. C’est l’instant qui suit le réel et qui précède la réalité suivante : Voilà la force du virtuel, associée à la parfaite intelligence de jeu de nos deux psychopathes.

Même lorsque la famille, par l’un de ses protagonistes, essaie de renverser le cours des choses en tentant de reprendre le contrôle des événements, le virtuel opère et rend l’opération passive car il s’écarte des incommodités du réel dont il a pris le contrôle dans cette histoire.

 

A la fin du film nous comprenons que ce jeu de massacre virtuel transposé dans le réel n’ est qu’une partie du jeu ! C’est ainsi que dans la dernière séquence du film, ils prennent la direction de la maison la plus proche, comme dans un jeu vidéo : Se perdre du réel pour se réaliser dans le virtuel. Ici dans sa forme la plus violente.



AUTEUR

 

Amara BOUALA est prof de philo et documentaliste en Ile de France et pilier de prefigurations.com