CABRERO. Bande annonce de jeu vidéo.

 

Que fabrique l’événement ? Une question centrale qui s’est imposée comme le fil rouge du dernier festival Villes & Toiles en Essonne.

L’événement transforme l’espace urbain, dans un moment éphémère, ou plus profondément… Quand le jeu vidéo s’expose. En quoi la bande-annonce spectacularise la sortie d’un jeu vidéo ?



« Le métro parisien a ceci de particulier : dans les sous-sols de la capitale, nous sommes condamnés à attendre notre transport. Il faut marcher, regarder les signalétiques, sa montre, les indications temporelles affichées par la RATP. Et lorsque nous attendons, nous pouvons jouer sur notre téléphone portable ou simplement téléphoner, lire le journal ou un roman policier. Et si nous découvrons les transports en commun parisiens, nous pouvons également regarder autour de nous. Et en ce mois d’aout 2013, il y a une chose que nous ne pourrons pas manquer en scrutant du regard les murs du métro : l’imposante campagne d’affichage du jeu-vidéo Grand Theft Auto V. Que l’on soit joueur ou non joueur, enfant ou adolescent, adulte ou retraité, nous ne pouvons pas passer à côté de ces immenses affiches colorées et plaquées aux murs. »

 

Ce sont les premières lignes qui ouvrent l’introduction du Mémoire de recherche que j’ai effectué en deuxième année de Master en Communication. En effet, le jeu vidéo est de plus en plus présent dans notre espace urbain. L’immense poids de l’image publicitaire en société, matérialisée par les campagnes d’affichage, ne sont plus exclusivement réservées au cinéma ou à d’autres arts « majeurs ». Il faut désormais compter le jeu vidéo dans les rangs, qui au fil des années et des évolutions technologiques, a su imposer un pouvoir à la fois créatif, technique et ludique. A tel point que nous parlons aujourd’hui de jeux « blockbusters » ou « AAA », au même titre qu’un film hollywoodien. Il faut dire que les budgets de production et de communication entre le jeu vidéo et le cinéma sont quasi-similaires, quand on apprend que Grand Theft Auto V a coûté 265 millions de dollars… Oui, vous avez bien lu !

 

Source Gamekult [en ligne]

 

 

Dans cette optique, le rapprochement entre le cinéma et le jeu vidéo est intéressant à observer. Les liens entre ces deux supports artistiques et d’abord culturel et économique, comme l’analyse Alexis Blanchet dans l’ensemble de ses recherches scientifiques2.

 

 

Cinéma et jeux-vidéo : trente ans de liaison [En ligne]. Alexis Blanchet. Médiamorphoses, Numéro 33, 2008.

 

 

Au début des premiers succès commerciaux du jeu vidéo, c'est-à-dire dans les années 1970, le cinéma hollywoodien sort d’une grande période de crise et où il se dirige progressivement vers le New Hollywood. La concurrence de la télévision a servi de leçon à cette grande machine de production.

Désormais, il faut composer avec les médias environnants et le jeu vidéo en fait parti. Les Etats-Unis sont dans un mouvement de fusion et de concentration des industries culturelles. Entre temps, le studio Atari s’impose comme la première major du secteur vidéoludique, grâce au succès commercial de la borne d’arcade Pong. A partir de ce moment là, le cinéma et le jeu vidéo vont construire une liaison solide, à la base d’une économie singulière.

Jeux adaptés de films ou de personnages de cinéma, placement de produits vidéoludiques au sein des films commercialisés, ou encore à partir des années 1990, films adaptés de jeux vidéo et vice-versa. Une économie transversale qui va également produire des échanges de savoirs et de savoir faire. De fait, des professionnels du cinéma rejoignent les studios de développement pour leur faire bénéficier des techniques d’écriture et de mise en scène. En même temps, des professionnels du jeu vidéo sont conviés à rejoindre les équipes techniques des effets spéciaux, comme cela a été le cas pour le film Jurassic Park de Steven Spielberg.

 

 

Cette contextualisation est importante pour comprendre l’évolution esthétique et culturelle du jeu vidéo. Aujourd’hui, le support vidéoludique s’est multiplié. On ne parle plus du jeu vidéo uniquement via une console de jeu ou un ordinateur. Désormais, on joue sur son téléphone portable, sur sa tablette, dans la voiture, chez le médecin, ou même aux toilettes…

Toutefois, le jeu vidéo de type « AAA » reste, symboliquement parlant, l’exemple fondateur de l’évolution culturelle de l’objet vidéoludique, de part l’ensemble des éléments référentiels exposés plus haut.

 

 

En ce sens, d’un point de vue communicationnel, le support de la bande-annonce est un exemple parlant et qui traduit la mutation médiatique du jeu vidéo. Désormais, le jeu vidéo s’expose comme un film. La bande-annonce est, en réalité, l’un des plus vieux moyens de promotion relatif au film. De nombreux groupes d’exploitation de salles de cinéma, comme Gaumont, Pathé, Kinépolis, CGR ou encore MK2, les filtrent depuis de nombreuses années. Si aujourd’hui beaucoup d’outils interactifs se sont développés grâce à la présence d’Internet, le film publicitaire s’est ainsi consolidé, développé, multiplié et surtout, c’est un support qui n’est plus exclusivement réservé aux salles de cinéma. La bande-annonce est, en effet, une vidéo-type qui circule très vite sur le Web, les sites spécialisés étant les principaux relais d’archivage. Internet permet désormais de se tenir informé, semaine par semaine, de l’avancée des projets en développement, film ou jeu-vidéo (notamment grâce à la communication explicite des studios via les réseaux sociaux). Toutefois, la bande-annonce reste le premier support imagé du produit, ce qui créer l’événement et alimente les attentes.

 

A quoi sert une bande-annonce ? Lorsque l’on parle de ce support marketing, généralement attachée à l’objet film et désormais à l’objet jeu vidéo, nous pensons directement au terme « promotion ». « Promotion », du verbe « promouvoir », ce qui signifie faire connaître, mettre en avant, ou encore encourager. Dès lors, promouvoir un film, c’est l’inscrire dans l’esprit du futur spectateur, en le décrivant visuellement, musicalement et même textuellement. La promotion vient en amont de la diffusion de l’œuvre, ce qui permet de parler et de faire parler sur un objet qui n’est pas encore accessible. Ainsi, une promotion réussie, est une promotion qui a marquée l’esprit du destinataire, en lui donnant envie d’aller voir ou de jouer à la création mise en lumière publiquement. C’est dans cette optique que nous touchons à la notion de « spectacularisation ». La bande-annonce doit rendre spectaculaire le film ou le jeu, de sorte que le spectateur / joueur compte les jours avant l’accessibilité de l’œuvre promotionnée. La bande-annonce véhicule ainsi une « promesse », au sens où l’entend François Jost, c'est-à-dire synonyme d’engagement, un acte d’assurance verbale et performatif. Dans le cadre publicitaire, la promesse a un but marketing, ce qui engage un bénéfice matériel que le destinateur propose au destinataire (à savoir l’acheteur).

 

Pour ce faire, la bande-annonce suit une construction schématique très claire, que nous pouvons découper en trois séquences bien distinctes.

  • La première étape consiste à donner des éléments narratifs relatifs au récit global, afin de contextualiser l’action. Le personnage principal est introduit dans son contexte à la fois dramatique et géographique. Techniquement, cette première séquence est matérialisée par un rythme plutôt posé (longueur de plan lié à la contemplation), afin de bien poser les bases de l’histoire.
  • La deuxième séquence introduit l’élément perturbateur du récit, souvent représenté par l’ennemi ou les opposants du ou des personnage(s) principaux. Sur le plan technique, le rythme du montage s’accélère et quelques petites scènes viennent ponctuer la narration. Les tensions deviennent explicites, les dialogues se durcissent, annonçant la transition progressive et crescendo vers la troisième séquence…
  • Et cette dernière partie ne suit justement aucune logique narrative. C’est un concentré d’action, une succession de scènes détonantes et bruyantes, permettant de laisser une image positive au spectateur / joueur, tout en stimulant son envie et sa curiosité. C’est la séquence spectacularisante, où l’objectif est de montrer le plus d’éléments techniques du jeu (phases de gameplay ; scripts ; etc.) dans un espace-temps très court, ce qui se matérialise par des séquences de cut rapide. En définitive, le personnage ne finit jamais son action, on coupe avant. L’objectif est de montrer une partie du contenu, que le spectateur / joueur pourra découvrir en achetant le produit commercialisé. On joue sur l’attente, le désir, la frustration. Une mise en scène de l’attente qui passe également pour la musique, qui joue un rôle important dans la progression de la spectacularisation dramatique, comme une sorte de partition crescendo de plus en plus épique (ce qui rappelle d’ailleurs la musique d’Opéra, souvent utilisée dans la bande-annonce pour dynamiser l’image).

Pour rendre plus explicite cette description technique de la bande-annonce, je propose de vous laisser avec un corpus de bandes-annonces, à la fois filmiques et vidéoludiques, afin que vous puissiez suivre cette progression et constater le modèle identique dans la schématisation du contenu narratif et technique.

A titre de rappel, notre description est uniquement relative aux films et jeux vidéo « blockbusters », deux typologies de supports artistiques en perpétuelle influence.


Corpus de bandes-annonces videoludiques :

Grand Theft Auto V (sortie en septembre 2013)

Uncharted 3 : Drake’s Deception (sortie en novembre 2011)

Batman Arkham Knight (sortie en juin 2015)


Petit bonus : des internautes qui se filment en train de découvrir la bande-annonce d’un film blockbuster, ce qui traduit la mise en scène de l’attente et du désir que peut offrir le Web dans une sphère communautaire…

Réaction devant le trailer « Nokia » du film « The Dark Knight Rises »

La bande-annonce ici :

Vidéo mashup des réactions devant le troisième trailer du film « Man of Steel »

La bande-annonce ici :


Théo CABRERO

s'intéresse à tout, découvre des pépites et allume la mèche..