Le plein de super


 

Entre le héros grec d’origine semi-divine brillant de gloire et de vanité par-delà la mort et le super héros moderne costumé, pour ne pas dire clownisé de son vivant par les médias et porté vers une célébrité  éphémère subsiste-t-il une parenté garantissant au modèle héroïque une continuité ?


Tous les héros naissent d’une rêverie fondamentale de l’humanité, un rêve de grandeur non assumé. Le tragique naît avec le héros et meurt avec celui-ci.

 

Avec le super héros, nous jouons avec le caractère illusoire de la liberté magnifiée par des pouvoirs absolus sensés transcender le genre normal et immanent. Il y a d’un côté, les hommes dits normaux, et de l’autre les  super héros hors normes. L’homme produit son héros pour son besoin de spectacle et le super héros fait son numéro pour divertir l’homme jusqu’à épuisement de son mystère, c’est-à-dire le moment où la nécessité de le faire disparaître se fait sentir… Il n’est pas rare de voir un super héros mourir bêtement d’une maladie (Captain Marvel) alors qu’il a fait jeu égal avec l’univers, ou bien des super héros renoncer à leur pouvoir, en réalité à leur costume, afin de se soustraire au voyeurisme des hommes qui en font leur hydromel.

Dans un monde enchanté par des lois physiques inconnues les hommes avaient inventé les héros, de parents illustres, avec un père ou une mère de nature divine comme Hercule, Thésée ou Achille ou encore quelques reflets terrestres de la divinité (Ulysse), alors que les héros d’aujourd’hui ne sont plus des héros mais des super héros, car mortels et soumis non pas à la condition des dieux mais des hommes. Ils sont issus d’une contrition originelle (ils portent la responsabilité du drame familial, il n’y a qu’à voir la culpabilité d’un Daredevil ou d’un Batman, personnages éminemment tristes et sombres !).

 

Tous ont en commun un traumatisme d’enfance, Batman, Superman, Spider Man, Hulk etc.… Qui leur interdit à jamais l’espoir d’une normalité tant convoitée. Le héros de la mythologie grecque était invulnérable dans ses conflits avec les hommes ordinaires, il ne pouvait être vaincu, sauf par traîtrise ou parce qu'il choisissait la mort en toute liberté. Il est remplacé par le super héros moderne, fatigué de son histoire et de son écrasante responsabilité envers l’humanité. Incapable de mourir ou d’anonymat. Il doit porter le masque, faire le clown et se condamner à vaincre car incapable de vivre pour lui-même… Une histoire longue aux relents éphémères.

Garang, alias Admira Wijaya
Garang, alias Admira Wijaya

 

 

Sauf que l’histoire n’est plus celle des dieux aux âges mythiques, craints des hommes, mais celle des hommes aux lois physiques dévoilées et au chagrin du désenchantement qui s’oublie sur le dos des super héros.

 

 

Nous l’avons compris le héros des temps anciens était une surpuissance et l’objet d’un culte en tant que médiateur entre le monde terrestre et l’au-delà.

Aujourd’hui le monde moderne produit des super héros soumis à des engagements contraires à la liberté, au risque physique non assumé, à la défense des valeurs d’une communauté qui ne veut pas d’eux (devoir d’enchantement oblige)…

Le super héros d’aujourd’hui symbolise la revanche de l’homme sur les dieux. Les dieux sont morts, il convient donc de forger un monde à l’image des hommes en tant que nouveaux dieux, et de créer des héros au super pouvoir, qui sont une extension de l’imaginaire prétendument infini des hommes.

 

Suprême cruauté : Quel super héros peut aujourd’hui prétendre demeurer dans la mémoire humaine ne serait-ce que quelques décennies ? Plus les super héros sont puissants et plus ils sont fragiles et évanescents.

 

Pourquoi tant de spectateurs préfèrent les méchants siths (Darth Vador, Palpatine, Darth Maul aux gentils Jedis ?), pourquoi le personnage du Joker dans le dernier Batman (Dark Night ) est à ce point fascinant ?

Peut-être parce qu’ils sont les seuls êtres qui rappellent un peu l’âge d’or des tragédies grecques, le temps ou les héros pouvaient signifier leur mépris aux hommes. Ils sont les nouveaux voleurs prométhéens qui refusent aux hommes une divinité usurpée ! Faux dieux, peut être, mais les hommes font toujours mourir les méchants et…. Oublier les gentils super héros (ce qui est peut-être la même chose…).

 

Tout doit être fait pour la gloire de l’humanité triomphante. Les méchants nous montrent que le bien est illusoire et circulaire tandis que le mal est un chaos vivant dont l’aspect rectiligne est plus assuré. L’acte héroïque comme nouvel horizon de solitude contre le métier déprimant de super héros, tel est le fardeau du super héros. Le héros sauve ce qu’il ne peut haïr, car sa rédemption se trouve dans ce besoin de normalité que lui refuse pourtant le monde, voilà son supplice tantalien, son tonneau danäesque, mille victoires pour aucune paix avec lui-même.

Le super héros est le seul à savoir que son héroïsme ne lui est rien, juste un quotidien qui s’acharne à lui montrer sa domesticité envers le genre humain. Le super héros va au combat comme il va au devant « de ses plus  grandes douleurs », celles de victorieuses batailles pour une guerre perdue d’avance: Accepter  le combat contre ses pairs alors que les hommes  ne le prendront jamais pour autre chose qu’un clown.

Lui-même se sait triste et s’invite dans cette grotesque farce qui lui est nécessaire car elle lui donne un formidable paravent à l’effrayante illusion du Moi. Il est désir et fantasme, incarnation, rejet et colère. Il existe pour les autres et les autres le font exister, à défaut d’exister eux- mêmes autrement que sous le joug de la collectivité. Le super héros est un dieu triste, condamné à défendre les autres sans aucun remède pour sa propre inexistence. Condamné à subir le prix du super.


 

Amara BOUALA pense, souffre, invente, agit et interagit. Il philosophe et connaît les images et les Moi.