Jacques PERCONTE semble créer des oeuvres numériques à propos/partir de peinture mais il n'en est rien.
Son travail, sa pensée s'exerce sur notre perception, sa limite et donc sa poétique.
Entretien avec Franck Senaud. Décembre 2016
FS:
Tu sembles travailler à la fois sur la nature et sur l’histoire de la peinture, je me trompe ? Lequel de ces deux domaines initie ton travail ?
JP:
Je ne travaille pas sur l’histoire de la peinture, elle surgit, mais ce n’est pas un sujet.
Pour parler de ça, je renvoie souvent à l’histoire que Philippe Descola raconte dans son premier cours en 2011 formes du paysage en anthropologie de la nature au collège de France. (https://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/course-2012-02-29-14h00.htm). Il y raconte qu’à la sortie de la forêt amazonienne, après une très longue marche éprouvante (au cours d’un voyage pour étudier les Indiens Achuar), qu’un ami indien partageait avec lui une réflexion lors d’un moment de repos. Philippe Descola découvrait alors un paysage familier : une ligne de fuite, un horizon, des nuages, des aigrettes marchant le long des bancs de sable, comme dans une peinture hollandaise.... Il a compris que son ami disait « c’est beau », alors qu’il disait « on est bien ». Cette association culturelle de la vision aux émotions est manifeste de notre culture. C’est qui rend si importante la place de la peinture en tant que référence dans mon travail.
Je travaille sur la nature.
FS:
Pourtant les commentaires qui présente ton travail citent fauves, Pollock, impressionnisme..
JP:
Mais mon travail, c’est impossible de le voir en dehors de notre culture des images et donc de la peinture revient à nous systématiquement. L’image nous rappelle. Et ce qui est drôle, c’est que chacun y voit ce qu’il veut. Les références ne sont pas les mêmes pour tout le monde.
Mais, il y a de la peinture dans mon travail parce que c’est ma culture. J’ai peint, et là où la peinture ne me conduisait à rien, la vidéo m’a conduit là où j’en suis. Mais je continue le même chemin. Je cherche en vidéo ce que je cherchais en peinture.
FS:
Tu veux dire que c’est toi qui fabriques cette tension visuelle ? Comment commences-tu ?
JP:
Je commence toujours par me balader. Et puis je filme. Et puis je regarde ce que j’ai filmé. Et je travaille les images… ou pas. Et puis je les assemble… Et puis je regarde… je vous recomande cet entretien
FS:
Aussi le décalage perception homme perception machine ? cette limite ?
JP:
La machine ne perçoit pas, elle fabrique quelque chose à partir d’informations. Selon le type de machine, l’interpolation est plus ou moins importante. Aujourd’hui il y a les caméras qui à partir de ce qu’elles perçoivent créent complètement une image à l’image de la référence, mais une complètement artificielle. Parmi toutes les technologies à disposition certaine sont plus ou moins efficaces, certaines sont plutôt mauvaises (quand on veut produire des choses qui semblent réalistes). J’exploite les insuffisances des technologies comme leur très grande capacité à stabiliser les formes. Les images que je fabrique sont des phénomènes qui mettent en résonance la réalité technologique de leur nature (matricielle) avec le langage politique des formes qui n’existent pas dans l’image, mais que nous reconnaissons culturellement. Les premières nous paraissent abstraites alors que nous les voyons réellement, alors que les secondes nous paraissent concrètes alors qu’elles ne sont pas là. La gradation de ces deux dimensions permet de travailler dans cette perspective de la réception entre les formes physiques et les formes symboliques.
FS:
En quoi il y a de la picturalité à cet endroit-là ?
JP:
Qu’est-ce qui se passe à cet endroit de tension entre ces deux dimensions ? Alors, pour moi ce n’est pas une tension parce que même si la nature des formes semble les opposer, dans mon travail elles sont intimement liées puisque l’une n’existe que parce que l’autre est là. C’est-à-dire qu’il n’y a pas d’artifice qui naisse autrement que par la mauvaise interprétation de ce qui a été filmé. Ce que l’on appelle picturalité est l’expression d’un sentiment de matérialité plastique s’accordant plutôt à l’idée culturelle de ce qui caractérise la peinture : être visiblement de la peinture et non pas la réalité. C’est encore quelque chose que l’on s’accorde à reconnaitre. Mais en fait, c’est le résultat d’un sentiment esthétique qui rappelle la présence de l’image à l’image. Alors il y a de la picturalité dans mon travail, oui. L’image se rappelle comme image.
«Je déroule lentement la peinture et tandis que je l’observe,
je m’avance dans une étendue sans limites de tous les côtés
et qui m’ouvre ce sentiment de l’infini que le ciel inspire en moi.»
Zong Bing (375,443)
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