Entretien 2.

Comment une idée disparue réapparaît-elle ? Et, lors, est-ce la même ??

Pierre ROSENSTIEHL pense aux débuts de l'informatique, à faire voler des jets à Chicago et au secret du dessin du labyrinthe...



FABRIQUER DES IDEES

Franck : Il y a aussi quelque chose de l'ordre du bricolage. On dirait que les idées se fabriquent avec des gens qui n'ont pas peur de les attraper et de leur mettre la tête à l'envers.

 

Pierre Rosentiehl : Les idées sont comme des taupes dans un jardin, elles réapparaissent. Elles sont attrapées par des gens qui sont très proches du contexte de l'époque. Dans le livre, le phénomène scientifique du XXe siècle, l'arrivée de l'informatique, de tout un arsenal de réflexion d'ordre mathématique et des implications prodigieuses. C'est l'époque qui veut çà. C'est sous l'influence de certaines personnes qui sont très pratiques, qui ont inventé telle ou telle pièce permettant d'inventer l'ordinateur. L'époque pose alors des problématiques nouvelles, et les idées s'en emparent.

 

Il y a une coïncidence avec une idée très ancienne qui est le fil d'Ariane. La caractéristique élémentaire du fil d'Ariane c'est que les paires ne se chevauchent pas : quand tu as ouvert quelque chose, tu dois le refermer. Une deuxième chose ouverte après la première devra être refermée avant la première. « Toute chose sera faite et défaite ».

Tu peux aussi penser à un couloir qui attend d'être parcouru. Deuxième chose : « La première faite sera défaite en dernier ». C'est ce qui va mettre de l'ordre dans tout l'informatique.


Franck : C'est parce qu'il y a ces règles qui se formalisent que l'informatique peut se développer, ou bien l'informatique commence à se développer en bordel puis quelqu'un qui arrive et dit « Pour ranger, on va faire comme çà ! » ?

 

Pierre Rosentiehl : Il y a des soubresauts On s'aperçoit que l'on crée de la pagaille, on est trop pragmatiques et pressés. L'informaticien est toujours pressé.

 

Franck : Et c'est là que le mathématicien arrive ?

 

Pierre Rosentiehl : Voilà !

 

 

Franck : Tu t'es intéressé aux mathématiques puis à l'informatique?

Est ce que le personnage décrit dans le livre c'est un peu toi dans un rapport avec des informaticiens?

 

Pierre Rosentiehl : Oui tout à fait.

 

Au départ, je m'occupais d'organiser le ciel de Chicago : comment stocker les avions en attente dans le ciel de Chicago. C'était dans un contexte d'études de recherche opérationnelle, à la fin des années 50. J'ai fait une thèse à Cleveland (Ohio), et le sujet était la simulation du ciel de Chicago. A cette époque, pour arriver à simuler les atterrissages des avions, ou plutôt le désordre, ou la mise en ordre dans le ciel, je faisais cela avec une machine électronique qui était carrément un immeuble, que l'on me prêtait la nuit, à des heures creuses. J'étais très porté sur l'interprétation mathématique des problèmes d'organisation du réel. Cette expérience m'a beaucoup encouragé, car j'ai rencontré les fédéraux de l'aviation américaine, et eux ne faisaient des simulations (mélanger les avions à réaction avec les nouveaux jets du commerce et avec les avions traditionnels ) qu'en temps réel, avec des vrais avions.

 

Cette traduction mathématique avec le calcul des probabilités et des tirages au sort, c'est moi qui l'ai modélisé.

 

Franck : Tu dis que c'est parti de choses très concrètes et que cela t'a encouragé ?

 

Pierre Rosentiehl: Oui tout à fait.

Franck : Les gens de la campagne sont un peu comme cela : si ça fonctionne tu prends, si ça ne fonctionne pas, tu abandonnes.

Tu dis que les idées sont enterrées comme des taupes et réapparaissent.

Quand tu dis cela, tu leur donnes une sorte de vie, tu les personnalises. Et si ce n'était pas la même idée, ou une autre idée qui s'était formulée ? Quand tu dis qu'elles dorment et réapparaissent, tu les divinises un peu. Qu'est ce qui te fait penser que c'est la même chose qui réapparaît ?

 

Pierre Rosentiehl : C'est là qu'il y a dans l'ouvrage quelque chose qu'on ne remarque peut être pas, puisque l'on cherche aussi à être modeste ou à laisser les choses dans l'ombre : la révélation que le graffiti crétois est un double dessin, c'est-à-dire un dessin de labyrinthe et, dans le fond, ce qui apparaît c'est un fil d'Ariane. Un labyrinthe et un fil d'Ariane sont mélangés.

 

Franck : C'est le problème et sa solution qui sont ensemble ? Il y a un fond et une forme. Un objet et son imbrication. C'est ton intuition à toi ?

 

Pierre Rosentiehl : On peut penser que les Crétois n'ont pas réfléchi là dessus mais il y a une intention qui est évidente.

Le fond est un schéma intéressant c'est un fil d'Ariane. C'est un dédale, une courbe fermée qui se frôle elle-même mais ne se coupe pas.

Tout va partir de cela.

 

Photo Franck Senaud

LA SUITE: ROSENSTIEHL. Entretien 3. LE PREMIER LABYRINTHE CRETOIS.