Le Corbusier, le Mouvement Moderne et le Japon


 

Les échanges culturels entre l’Europe et le Japon existent, bien entendu, depuis très longtemps. Mais c’est au milieu du XIX° s. que le Japon s’ouvre à nouveau à l’extérieur. Les nombreuses expositions universelles qui vont suivre cette ouverture permettent de montrer la culture et l’architecture nipponnes au reste du monde.

Certains mouvements architecturaux, comme l’Art Nouveau (1890-1905), l’Art Déco (1920-1939) s’emparent de certains thèmes de l’architecture traditionnelle japonaise, ne la faisant reconnaître par Le Corbusier (1887-1965) en 1925 comme n’ayant qu’une valeur décorative, dans son ouvrage L'art décoratif d'aujourd'hui.

 

Si l’on étudie ses lectures, ses voyages et ses rencontres, le Japon n'aurait donc pas été une aire de référence dans les années d'études de Le Corbusier, au contraire de l'Italie, la Grèce, la Turquie, le M'Zab, l'Orient méditerranéen, l’Allemagne, la France, et la Suisse dont il est originaire.

 

 

C’est en 1955 seulement, que Le Corbusier fait son seul voyage au Japon, à l’occasion de l’inauguration du bâtiment qu’il dessina pour le Musée National des Beaux Arts d’Occident, à Tokyo. Le projet est une autre proposition sur la modularité de l'architecture par sa capacité d'extension « illimitée ». Il s’agit d’une déclinaison tout à fait intéressante sur le thème.

Cela dit, dès 1929, des jeunes architectes, futurs grands noms de l’architecture au Japon, ont travaillé chez Le Corbusier à Paris : Kunio Maekawa (1905-1986), de 1929 à 1931, et Junzo Sakakura (1904-1968), de 1931 à 1936. Ce seront d’ailleurs eux qui s’occuperont du chantier du musée, 20 ans plus tard.

Mais quelle influence ont-ils eu sur le travail du Maître dans les années 30 ? J’ai toujours du mal à imaginer, personnellement, qu’elle ne soit pas déterminante, et pourtant, rien n’est dit sur le sujet. Charlotte Perriand (1903-1999) découvre le Japon lors de son long séjour, en 1940, et ce malgré la grande amitié la liant, dès 1929, avec Maekawa et Sakakura, alors qu’ils travaillaient ensemble chez Le Corbusier.

Dans ses mémoires, elle écrit cette découverte de 1940 :

 

« Me voilà béate devant une nouvelle découverte d’une modernité absolue : le tatami, élément de sol normalisé( depuis le XVI° s.), posé aussi bien dans les villas impériales à Kyoto (Katsura), dans les maisons paysannes, que dans les hôtels et les restaurants. Seule la qualité des nattes change, ainsi que leur renouvellement, plus ou moins fréquent, afin de conserver leur fraîcheur initiale légèrement verte.

La normalisation et la standardisation, si chère à Corbu, et qui à ce jour n’étaient pas encore entrées dans nos mœurs, faisaient bien parti du répertoire de ces demeures japonaises.

(…) Les modernes ici peuvent bien facilement continuer la tradition ; on retrouve nos principes.  »

 

Charlotte Perriand

In Une vie de création (Odile Jacob, Paris 1998)

 

Pourtant, des grands architectes occidentaux sont allés au Japon pour faire des voyages ou pour construire, ou même s’y installer pour plusieurs années, à l’image de Charlotte Perriand.

Chacun a été invité dans le cadre de cette ouverture du pays en vue de sa modernisation. Chacun a été ébloui par les chefs d’œuvre d’architectures et de jardins traditionnels qu’il découvre. Chacun va insister sur la grande valeur patrimoniale de ce qu’il visite. Et pourtant, ceux qui construiront sauront également ne pas oublier leurs recherches architecturales précédemment développées en Occident.

Tout cela signifie-t-il que Maekawa et Sakakura n’ont pas fait part des qualités de l’architecture japonaise au sein de l’agence de Le Corbusier parce qu’ils venaient chercher la modernité occidentale ? Etaient-ils complexés au point de ne pas voir ces qualités ? C’est possible, d’autant que Le Corbusier semblait avoir une idée arrêtée sur le sujet dans ces années 1930.

Par ailleurs, on peut dire que l’idée et la fascination pour la répétition, la standardisation et la préfabrication arrive très tôt dans l’œuvre de Le Corbusier.

Sa visite à la Chartreuse de Galluzo (Chartreuse d’Ema), près de florence, qu’il parcourt une première fois en 1907 (voyage en Italie pendant ses études), puis une deuxième fois en 1911, de retour du voyage d’Orient, engage des réflexions qu’il reprendra tout au long de sa vie pour aboutir à des projets (musée à la Chaux de Fond en 1910, les maisons Dom-Ino en 1914, la maison Monol en 1919, les maisons « Citrohan » et l’immeuble Villas en 1922, …) et des réalisations essentielles de son œuvre architecturale (Cité Frugès à Pessac en 1925, maisons jumelles à l’exposition du Weissenhof à Stuttgart en 1927, l’élaboration de la mesure du Modulor de 1942 à 1946, les Unités d’Habitations de Marseille et d’ailleurs à partir de 1946, …).

Dans tout cela, existe-t-il une part inconsciente, consciente ou inavouée de l’influence de l’architecture japonaise, cela semble bien difficile à déterminer avec certitude, en reprenant les informations dont nous disposons (écrits, bibliothèques, lectures, croquis d’étude, témoignages, …).

 

Quant aux grands noms de l’architecture du Mouvement Moderne, on peut citer, notamment, les architectes suivants :

Robert Mallet-Stevens (1886-1945) écrit un article - L'architecture au Japon, in La Revue (vol.LXXXX, 15 mai 1911) - mais sans jamais y être allé.

Franck Lloyd Wright (1869-1959) construit un certain nombre de bâtiments dès 1915, et jusqu’à 1924, dont le célèbre Hôtel Impérial à Tokyo.

Antonin Raymond (1888-1976), architecte tchèque, vient au Japon avec FL Wright et s’y installe pour construire en son nom à partir de 1921. Il y exercera pendant près de 50 ans.

Richard Neutra (1892-1970) fait un voyage au Japon en1923.

Bruno Taut (1880-1938) s’y installe pour quelques années en 1933. Il y construira et y enseignera à Sendaï, notamment. Il aura été très important, tant pour faire apprécier l’architecture japonaise aux architectes du pays, que pour la diffuser en Europe.

Charlotte Perriand, on l’a vu, y passera deux années interrompues par l’alliance du Japon avec Hitler. Son influence semble, également, avoir été considérable.

Walter Gropius (1883-1969), fondateur du Bauhaus, y passera plusieurs mois en 1954.

 

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