Au tout début
Elle m’a semblé laide
Mais c’était son charme
Laide précisément
Par toutes ses formes rectangulaires et sobres
Absolument 80
Son confort rigide et pragmatique
Ses quatre sièges de dentiste en velours gris
Et ses phares de cadavre d’écran de télé
Me répugnaient tout particulièrement
Alors je l’ai gardée
Elle me l’a bien rendu
Chaque matin au démarrage
Crachant tous ses cauchemars de carbone
Comme reproches conjugaux
Comme autant de preuves d’amour
C’est alors que nous avons commencé à nous aimer vraiment
Ma Jaguar germanique
Et moi
Docteur allemand parcourant la Forêt-Noire dans mon vaisseau de certitudes métallisées
Allongés
Sous le regard étonné et plissé des sapins aux yeux verts
Puis nous avons voyagé
Longuement
Traversant ensemble les compartiments du jour et de la nuit
Progressivement
Son intimité s’est parée d’une odeur de soleil fané
Immensément nostalgique
Presque plus germanique
Évidemment
Elle en faisait trop
Mais j’aimais ses larges virages comme on nage la brasse indienne
Son moteur en sous régime
Toujours
Ménageant par ses secousses
Mon esprit
De sa nitroglycérine
Nous avons glissé longuement sur les réglisses des routes de tous pays
Dans ton ventre comme dans un salon
J'ai sillonné le monde
La tête engourdie par le clapotis régulier de tes pistons
Mon regard cabossé astiquant tous les horizons
Tous les climats capitonnés
Depuis les épaisses veines d’eau gonflant sur ton pare-brise
Jusqu'aux auréoles de soleil l’alvéolant miraculeusement
Nous avons bourlingués
Ensemble
Indifférents à l’agonie abstraite des insectes dont tu t’embellissais encore
L'été venu nous nous sommes confondus aux longues transhumances embouteillées
Qui serpentent jusqu'aux champs salés des mers
Au travers de toutes ces nuits jumelles
Nous nous sommes confondus avec les automobilistes
Au visage gommé de fatigue
Que l’on ressuscite par la religieuse imposition d’une main
De temps en temps je t’arrêtais
Ouvrai ton capot explosif
Et crachai sur tes durites d’endurance et d’enfantement
Observant ma salive s’évaporer puis se calcifier
Dans ta gueule bouillante d’amour
Pour moi
Pour nos voyages
Pour et contre l’univers
Je dormais en toi
Le sommeil rythmé par ta pendulette
Entassant consciencieusement
Chaque seconde magnétique
Comme petits pâtés de temps
Mon cœur ce chronomètre
Pareil à ton compteur
Comptabilisait ma vie
Comptabilisait ma route
Impitoyablement
Puis nous repartions comme l’on renaît
Crevant ensemble le duvet de l'aube
Toi au bout de mes pieds
Moi au bout de ta vie
Toi et moi au bout du monde
D’une planète à nouveau plate
Comme ta carcasse après la casse…
Surprise ?
Christophe YAHIA
est poète, philosophe et mauvais esprit.
J'espère qu'aucun super-héros ne traine dans le coin !?
PREFIGURATIONS est aussi une association evryenne.
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